Par akademiotoelektronik, 01/03/2023
Trip avec Arnaud Manzanini, au-delà du cercle polaire
Vélo MagCieux violets et thermomètre à moins 30°C : est-ce la place d'un cycliste ? (Q. Iglesis)
L'ultra-cycliste Arnaud Manzanini avait peur du froid. Pour comprendre pourquoi, il est allé rouler au Nord de la Suède, au-delà du cercle polaire, par - 30°C. Récit.
Olivier Haralambon 08 février 2021 à 13h12commenterIl y a deux dimensions à la vie de l'aventurier moderne : la vie intérieure, avec ses rêves, ses pulsions, son besoin d'espace et de grand air, et son existence matérielle, c'est-à-dire les moyens mis à sa disposition par un certain nombre de partenaires, notamment financiers.
lire aussi Joe Biden, un cycliste à la Maison-BlancheArnaud Manzanini, dont la soif de grand air et la boulimie kilométrique se nourrissent de défis sensés, envisageait d'abord de s'attaquer au record du tour du monde à vélo avec assistance, détenu par l'Écossais Mark Beaumont, en 78 jours. Beaumont n'ayant utilisé qu'un unique vélo par souci d'homologation au Guinness Book, la méthode consisterait à soigner les aspects matériels, et notamment l'aérodynamique. Pourtant, notre Phileas Fogg avait poussé ses recherches préliminaires bien au-delà des études en soufflerie. Arnaud Manzanini sait bien qu'au-delà des données aérodynamiques, un record à l'échelle planétaire est une question de routage. Les marins le savent mieux que personne.
Records et éthique
Ainsi avait-il pris langue avec des spécialistes en IA (intelligence artificielle), chez IBM à Chicago et à Nice, dans une démarche de data analysis relevant presque de l'humanité augmentée. Dans le but de déterminer chaque jour, chaque heure, le meilleur itinéraire possible, il s'agissait de collecter tous les paramètres possibles concernant aussi bien le milieu intérieur (le corps) que l'extérieur (le monde) : l'état de fatigue et la météo. L'Être et l'Avoir, en quelque sorte. Un projet total : « Il y avait énormément de temps à gagner sur un record si long. »
Une double stratégie vestimentaire et alimentaire est nécessaire pour lutter contre le froid. (Q. Iglesis)Mais bien sûr ce genre d'entreprise représente un budget élevé - de l'ordre de 400 000 euros - que la survenue de l'épidémie en mars 2020 n'a pas permis de boucler. De plus, la dite épidémie et les questions environnementales qu'elle a violemment fait resurgir ont inspiré scrupule à l'aventurier. « J'ai réalisé que cette configuration avait un impact carbone effroyable : il fallait 25 camping-cars, du staff donc des billets d'avion. Ça m'est finalement apparu impossible, dit-il. De plus, personne n'aurait pu s'y identifier. »
Notre homme s'était donc rabattu sur un record plus éthique : le tour du monde sans assistance (établi à 123 jours). Pas de camping-cars, pas de staff, une empreinte carbone quasi nulle, voilà qui était à la fois entendable et abordable. Les routeurs auraient travaillé à distance, le partenaire financier (réseau immobilier IAD France) avait validé le budget, la préparation physique avait débuté. Et le Covid s'est invité, les frontières se sont fermées une première fois.
Affronter sa peur du froid
Quand il ne pédale pas, Arnaud Manzanini alimente son podcast UltraTalk, où il s'entretient avec d'autres spécimens de son espèce baroudeuse. C'est en écoutant l'ultra-traileuse Vanessa Morales conter sa traversée de la Laponie qu'il se souvient avoir eu si froid, au point de friser la crise d'angoisse, au col de la Bonnette. « Je me suis demandé pourquoi j'avais eu non seulement si froid, mais si peur. Donc, je me suis dit, voilà ce que je dois faire : me confronter au froid, explique-t-il. Et, ne pouvant rouler autour du monde, je décide de monter plein Nord, vers son sommet en quelque sorte. »
Arnaud Manzanini a croisé peu de monde (quelques villageois peu diserts) mais cette rencontre-là valait le détour. (Q. Iglesis)Passons sur les différentes modifications du projet, soumis aux dispositions sanitaires fluctuantes. D'abord décidé à rallier le Cap Horn, l'ultra-cycliste se « contentera » d'un raid de six jours et 800 km en Suède, entre la frontière finlandaise fermée et celle norvégienne fermée. Garanties : l'expérience grand froid et les aurores boréales. Il s'adjoint les services d'un spécialiste : Stéphane Michel, guide-accompagnateur et créateur de Nord Exploration.
« Je me suis demandé dans quoi je m'étais lancé ! »
Arnaud Manzanini
À cette époque de l'année, le pays est enneigé. Seules les routes nationales sont praticables, mais rendues dangereuses par la circulation et la mauvaise visibilité. Les véhicules soulèvent des nuages de neige dans lequel un cycliste disparaît, pour ne rien dire de la nuit qui tombe à 15h00. Il faut donc emprunter les routes secondaires, mais rouler sur la neige et la glace. Donc revoir sa copie pour ce qui concerne roues et pneus. À Luleå, le vélociste local lui fait savoir que ses pneus clous sont « bien pour rouler en ville » ! Alors il opte pour des roues de 650, chaussées de pneus de 48 mm de section à 4 rangs de clous.
« Rouler sur la neige glacée demande un gros effort de traction, raconte Manzanini. J'ai roulé à 20,5 km/h de moyenne le premier jour, et à environ 18,5 les suivants. Du point de vue pilotage, c'est une drôle de sensation, un peu flottante. Après les 120 km de la première journée, j'étais détruit, courbaturé dans tout le haut du corps : bras, pectoraux, lombaires. Je me suis demandé dans quoi je m'étais lancé ! »
Un drôle d'état psychique
Au fil des jours et de la remontée vers le Nord, de Luleå à Riksgränsen, les températures descendront. Moins 21°C au départ. À l'arrivée à Gällivare, au soir de la deuxième étape, l'hôtelier reste bouche bée devant cet homme à la barbe prise de glaçons, qui vient de parcourir 140 km à vélo. Jour après jour, à l'étincellement blanc et bleu du paradis succèdent la lumière violette puis la nuit noire, et la danse dangereusement hypnotique des flocons dans le faisceau du phare. Arnaud Manzanini voit défiler les pins blanchis, et croise des rennes. Traverse quelques villages aux rares promeneurs mutiques.
Le Cap Nord étant inaccessible, pour cause de frontière fermée, le périple s'est achevé à Riksgränsen. (Q. Iglesis)Le thermomètre menace, descend. Moins 27°C, bientôt - 30°C. Stéphane Michel s'inquiète de savoir s'il sent encore ses pieds. « Le froid, ça va très vite », prévient-il. Même à l'intérieur de la voiture, les bouteilles gèlent. Toutes les deux heures trente, il fait une petite pause soupe chaude. Mais bientôt, à - 32°C (alors que la température ressentie par un cycliste en mouvement avoisine -42°C !) il n'a plus envie de boire... que de l'eau froide !
Avec les degrés perdus, Arnaud Manzanini n'a pas l'impression d'avoir plus froid, mais de changer d'état psychique. « J'ai compris que ça ne rigolait plus et curieusement je me suis senti dans le même état que lors des traversées du désert, par 50°C, lors de la RAAM », constate-t-il. Il est équipé d'un capteur Core Body Temp qui le renseigne sur sa température corporelle en surface, et en profondeur.
En roulant, sa peau était à 32,5°C
Lorsqu'il roule, sa peau est à 32,5°C, mais la température interne entre 38 et 38,5°C. Quand il s'arrête, cet écart se réduit : 34°C en surface mais 37°C en interne. Dans les deux cas, ambiguïté de l'Être et de l'Avoir : Être chaud et avoir froid. « La conclusion que j'en tire peut sembler simpliste, dit l'utra-cycliste, mais je l'ai vécue : le mouvement nous tient en vie, et l'immobilité nous fragilise. »
publié le 8 février 2021 à 13h12
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