By akademiotoelektronik, 27/02/2023
Mais pourquoi les hétéros regardent-ils du porno gay ?
Un homme qui se définit hétérosexuel sur 5 regarde du porno gay, d’après une enquête américaine. Mais pourquoi ?
Publicité“Qu’est-ce qui m’excite ? C’est un mystère. Dans la rue, je ne suis pas attiré par les hommes, ça ne m’intéresse pas, mais parfois, j’ai des périodes ou j’ai simplement envie de regarder ça. C’est compliqué de savoir pourquoi. Peut-être l’interdit…” En réalité, la question, David ne se l’était jamais posée. “Cuisinier, hétéro, marié, deux enfants”, il aime à l’occasion se mater un bon boulard gay, “une fois sur 10 environ”. Et il n’est pas le seul.
C’est dans les Archives of Sexual Behaviour que le chiffre est sorti pour la première fois : 21% des hétéros ont regardé du porno gay dans les 6 mois précédents l’enquête. 1 sur 5. Pas QUE du porno gay (la très grande majorité a aussi regardé des films hétéros), mais quand même. Dans cette enquête réalisée auprès de 821 hommes sur leurs habitudes en matière de consommation de pornographie, d’autres chiffres ont pu surprendre, comme le fait que 55% des homos regardent du porno hétéro, par exemple, mais celui là a fait lever quelques sourcils. Dans une autre étude un peu moins scientifique mais tout aussi parlante, YouPorn avance un chiffre de 24% d’hétéros qui regardent leurs vidéos gays. Que vont-ils y chercher ? Décryptage.
Parce qu’ils ne sont pas hétéros
Dr Martin J. Downing, qui a dirigé l’étude, s’est lui-même posé la question. Celle que 90% des lecteurs de cet article sont en train de se poser : “est-ce qu’ils ne seraient pas tout simplement gays ?” Elle est légitime, simple, mais aussi simpliste. D’après l’enquête (réalisée anonymement), pourtant, tous ces hommes qui se définissent hétérosexuels et regardent du porno gay n’ont pas pour autant eu de rapport avec un autre homme. Il faudrait donc en déduire que 20% de la population américaine serait tout simplement homosexuelle, une partie ne l’assumant pas. Et devinez quoi ? On a aucune idée de la proportion d’homosexuels dans la population.
Selon une étude réalisée en 2006 (“Fraternal Birth Order and Ratio of heterosexual/Homosexual Feelings in Women and Men”, Journal of Homosexuality), 2 à 3% des sondés s’identifiaient comme homosexuels, mais 20% reconnaissaient avoir déjà eu des “sentiments homosexuels” (soit à peu près autant que ceux assumant regarder du porno gay). Dans les années 50, les études du professeur Kinsey, à qui on doit une sorte “d’échelle de l’orientation sexuelle”, parlaient de 37% à être déjà passés à l’acte. En France, une enquête Ifop de 2011 citait 3% de bisexuels et 3,6% d’homosexuels. 4-5% est la valeur fréquemment admise en Occident. Dans son livre Everybody lies – Big Data, New Data, and what the internet can tell us about who we really are, Seth Stephens Davidowitz a analysé les recherches Google en matière de porno. Son bilan est le même : selon lui, 4 à 5% de la population américaine serait gay. Loin, donc, des 20% à se palucher sur des hommes avec des hommes.
Parce que l’hétérosexualité n’existe pas
Un peu plus complexe, cette théorie n’en est pas moins assez simple à comprendre, puisqu’elle la continuité du point précédent : l’homosexualité, comme l’hétérosexualité, n’existent pas en tant que tels, en tout cas pas en les résumant à deux cases. Il faudrait plutôt, à vue de nez, en imaginer 7 milliards et des brouettes. Une pour moi, une pour toi, une pour ton père (mais n’y pense pas), chacun avec ses repères, ses ancrages, mais aussi sa fluidité, ses fantasmes…
C’est ce qu’ont mesuré des chercheurs de la Cornell University (USA) en montrant à des hommes et des femmes des vidéos de personnes en train de se masturber. En parallèle, ils observent la dilatation de la pupille, un signe de l’excitation “qui ne ment pas”. Quand les hétéros regardent une femme se masturber, ils réagissent “comme des hétéros” : ça se dilate. Et quand ils regardent un homme se masturber, ils réagissent comme tout le monde : ça se dilate. Conclusion, 100% de ceux qui se définissent comme hétérosexuels devraient déjà commencer par dire “principalement hétérosexuel”. “On peut maintenant montrer physiologiquement que tous les hommes ne sont ni gay, ni hétéros, ni bis, concluent les auteurs de l’étude. Il faut voir la sexualité masculine sur un continuum, comme on l’a toujours reconnu pour les femmes [ou plutôt, comme on l’a toujours considéré pour les femmes, imaginant qu’une période de bisexualité était normale et courante chez les femmes, mais pas chez les hommes, ndlr].” Et sur ce continuum, le cursus peut se déplacer à son gré.
“J’ai eu du mal à assumer, mais il faut être en accord avec soi même, reconnaît Eric, agent SNCF de 38 ans. Si tu ne vas pas voir ce qu’il se passe ailleurs, c’est justement que tu n’es pas totalement à l’aise avec ta sexualité.” Pour lui, le porno, c’est 80% gay. “Alors que ma vie sexuelle, c’est 98% hétéro.” Ça a démarré “assez tôt, vers les débuts de YouPorn. Je regardais du porno hétéro, j’aimais bien voir les éjaculations. Et je me suis rendu compte qu’on en trouvait plus dans le porno gay.” Alors, homme, femme, peu importe : lui, ce qu’il veut voir, c’est une belle éjac. Le genre de l’acteur·ice n’est plus qu’un détail.
Parce que c’est un fantasme normal chez tous les hétéros
Allez, on reprend : le principe de la masturbation, c’est que c’est du FAN-TA-SME. Pour de faux. Comme quand on jouait à la guerre petits, sans avoir besoin de se tirer dessus au final. Il suffit de regarder le top des tags les plus regardés sur PornHub : la présence des “belle-mère”, “demie-soeur” et “maman” ne font que confirmer cette idée. Et si “hentai” et “gangbang” sont en haut de la liste, ça ne veut pas dire que votre voisine suce des tentacules de 5 à 7. Ça veut dire qu’on vient y chercher ce qu’on ne trouve pas justement dans la vraie vie (parce qu’on n’ose pas, parce qu’on n’y a pas accès, parce que c’est illégal ou “immoral”, ou plus généralement parce que c’est excitant tant que ça se passe dans ta tête, pas dans ta culotte).
“La psychanalyse dit que le fantasme homosexuel est construit chez tout le monde dans ce que Freud appelle la sexualité infantile”, détaille le psychologue Eric Bidaud, auteur de Psychanalyse et pornographie (2016, éd. La Musardine). “Il y a toujours chez lui une notion de la bisexualité, donc l’homosexualité reste un fantasme chez tout hétéro ordinaire, bien que refoulé la plupart du temps. L’existence de la pornographie permet de défouler tout cela aujourd’hui, et c’est ça qui est nouveau, pas le fantasme en lui-même”.
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Sans oublier que ces fantasmes évoluent forcément en lien avec les tendances sociétales. Le phénomène Fifty Shade a placé le SM (soft) parmi les petits plaisirs kinky numéros 1 des Français comme des Françaises. L’évolution du regard et des pratiques (accompagnés d’une évolution des lois et des normes sociales) sur l’homosexualité a pu contribuer à “populariser” ces fantasmes, ou au moins à les rendre acceptables.
Parce que c’est pareil (phallocentré) mais différent
Bien qu’en grande majorité destiné aux hommes, le porno hétérosexuel n’en a pas moins tendance à zoomer sur le zizi (qui, je vous le rappelle, ne devrait pas intéresser l’hétéro de base, nous fait-on croire depuis des lustres). “L’un et l’autre sont complètement aussi excitants, reconnaît David, notre hétéro cuisinier. C’est l’humeur du moment qui décide, ou les suggestions, passant de l’un à l’autre. Mais dans le porno gay, je vais regarder des trucs un peu plus extrêmes.”
Car des différences, il y en a. “Le porno gay est moins normé”, assène Philippe, “hétéro très curieux”. “Il y a un truc gênant dans cette hétéronormativité, alors qu’il y a un côté plus libre, plus curieux dans le milieu gay. Le porno hétéro “normal”, c’est toujours la même chose, et généralement l’image de la femme n’y est pas très belle. Et moi, ça me fait chier de voir des filles se faire défoncer par des mecs qui les étranglent en même temps. J’ai l’impression que c’est moins le cas dans le porno homo.”
Aussi, quitte à voir de la bite, il préfère “l’exaltation de la masculinité, de la virilité”, qu’il trouve plus élégante dans le milieu gay. “Ce truc des statues grecques, je trouve ça très beau, et c’est plus présent dans le porno gay. Ça peut être viril sans être dégradant pour l’un des partenaires.” En supprimant les femmes de l’image, le porno gay supprime de fait un rapport de domination entre hommes et femmes qui en dérange beaucoup sans pour autant enlever ce qui fait 70% du porno : un sexe dans un orifice.
La pornographie dite “hétérosexuelle” ne peut d’ailleurs elle-même pas être rangée aussi facilement dans une case, rappelle le sociologue du genre et de la sexualité Mathieu Trachman dans Libé : “En fait, c’est le partage entre hétérosexualité et homosexualité comme mode de catégorisation qui devait être remis en question. Celui-ci ne permet pas de saisir des groupes homogènes, en particulier dans le cas de l’hétérosexualité : comment considérer qu’une catégorie qui regroupe 95% de la population est pertinente ? Son effet principal est de faire croire qu’un tel groupe existe, qu’il est majoritaire et normal. […] Si la pornographie est un terrain privilégié pour enquêter sur l’hétérosexualité, c’est parce qu’elle explicite clairement les contradictions que cette catégorisation produit. D’un côté, les réalisateurs et les producteurs s’acharnent à différencier les pratiques sexuelles des fantasmes des spectateurs, pour donner droit de cité aux désirs les plus divers, même ceux qui sont illégitimes comme le viol. De l’autre, les rapports entre hommes sont considérés comme des fantasmes particuliers, hors de leur domaine de compétence.”
Parce qu’on est curieux et/ou rebelle
“Ce qui a changé par rapport aux années 50-60, c’est que la sexualité est devenue un sujet de société, rappelle Eric Bidaud. Avant, chacun se débrouillait avec ce qu’il pouvait. Maintenant, pour être un individu libre, il faut s’intéresser à sa sexualité, y compris en s’intéressant à ses déviations.” Et le psy d’ajouter : “C’est une transgression générale, une sorte d’itinérance du porno. Chez les gros amateurs, on essaye toujours à un moment d’aller voir de l’autre côté, même si on sait que ce n’est pas pour soi.”
Une étape nécessaire, inhérente, constituante de la sexualité : aller voir dans sa propre marge quel fantasme mérite d’être repêché, tout en sachant que “le porno en lui même ne modifie pas la sexualité qu’on a. Mais l’interdit est fondamental dans la constitution du désir de tout à chacun. C’est ce qui crée une forme d’excitation particulière.” Alors, homos, hétéro, écoutez Eric. “Il faut dire aux hétéros « regardez ailleurs ». Ce n’est pas dégradant de voir des hommes s’embrasser, ça peut être très sensuel. Ce n’est pas parce qu’on est à 90% hétéro qu’il ne faut pas sortir des sentiers battus. J’aime bien être curieux sur tout. Pourquoi pas sur la sexualité ?”
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