By akademiotoelektronik, 15/11/2022
Entrepreneuriat | L’évolution de Québec inc. | La Presse
Québec inc. a largement évolué depuis la Révolution tranquille. Les entreprises se sont multipliées, et l’approche des entrepreneurs québécois n’est plus la même.
Publié le 25 juin 2021Richard Dufour La Presse« Quand j’étudiais à l’Université Laval au tournant des années 1970, il fallait se rendre à l’Université McGill le samedi pour voir les emplois offerts parce que les grands employeurs n’annonçaient pas dans les universités francophones. »
Michel Nadeau n’a pas de difficulté à replonger dans ses souvenirs pour se rappeler à quel point les temps ont changé.
« Le thème du rattrapage des francophones dans l’économie a été l’élément dominant dans ma vie et ma carrière », lance l’ex-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques et ex-numéro deux de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Éditorialiste et responsable des pages économiques du journal Le Devoir dans les années 1970 et 1980, il était bien placé pour saisir l’ampleur du défi à relever par les entrepreneurs québécois.
Quand j’étais au Devoir, la blague à Toronto était que le Québec finance des dépanneurs. Perrette et le pot au lait s’en vont en Bourse. Il y avait le plus grand mépris et dédain pour Couche-Tard.
Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques
En matière de revenus, Alimentation Couche-Tard est aujourd’hui la plus importante entreprise au Canada, devant la Banque Royale et d’autres grandes organisations. Le chiffre d’affaires de Couche-Tard a dépassé les 54 milliards US durant l’exercice financier 2020.
« L’état d’esprit a beaucoup évolué au fil des années et Québec inc. a changé », dit Chris Arsenault, associé fondateur chez iNovia, société montréalaise de capital de risque. « L’expression Québec inc. ne reflète plus ce qu’elle reflétait.
« Auparavant, on avait besoin d’un Québec inc. pour se protéger. C’était une question de contrôle pour ne pas perdre le contrôle de nos entreprises. »
Aujourd’hui, Québec inc., c’est l’ambition des entrepreneurs, ajoute Chris Arsenault. « Ils ont l’opportunité de bâtir des entreprises mondiales à partir d’ici. »
Chris Arsenault ne pense pas à Cascades, Cogeco, CGI, etc. lorsqu’il pense à Québec inc. Il pense plutôt à Lightspeed, Hopper et AlayaCare. À des entreprises qui auraient pu être vendues à des investisseurs étrangers, mais qui ont décidé de poursuivre ici leur ascension avec des ambitions mondiales.
Apprendre à gérer
« Le défi de Québec inc. au début était d’être maîtres chez nous et de détenir nos propres leviers », dit le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc.
« Il y a eu des efforts inouïs dans les années 1960 et 1970 pour permettre aux francophones d’apprendre à gérer, lance Michel Nadeau. On a géré Expo 67, les Jeux olympiques de 76, le métro de Montréal, etc. », dit-il.
« À la fin des années 1950, le Québec était un des endroits où le taux d’analphabétisme était le plus élevé. Le système scolaire et les hôpitaux étaient contrôlés par les communautés religieuses. L’État était balbutiant. Duplessis ne voulait pas dépenser. Les Québécois ne géraient rien », ajoute Michel Nadeau.
Les années 1960 ont mené à la création d’organismes comme la Caisse de dépôt et placement, la Société générale de financement et d’autres, parce qu’on voulait apprendre à gérer de grandes organisations et parce que les anglophones ne nous donnaient pas suffisamment de place pour le faire, soutient Michel Nadeau.
La mise en place par Jacques Parizeau du régime d’épargne-actions, à la fin des années 1970, a renforcé plusieurs de nos fleurons et contribué à en créer des nouveaux, ajoute Michel Leblanc.
C’était la rencontre entre les besoins de Québec inc. et la volonté politique de créer des champions québécois. Progressivement, Québec inc. est devenu fort de lui-même et a eu moins besoin de soutien gouvernemental pour avoir accès à du financement.
Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, à propos de la mise en place du régime d’épargne-actions
La Caisse de dépôt a ensuite joué un rôle plus important. « Parce que nos entreprises grandissaient, elles devenaient plus intéressantes pour la Caisse », dit Michel Leblanc.
« On a appris à gérer, dit Michel Nadeau. Des entreprises publiques d’abord. Des coopératives ensuite. Et finalement, il y a eu des entreprises comme Bombardier. Oui, Bombardier a changé. Mais à un moment, c’était le troisième fabricant d’avions au monde et le deuxième fabricant de trains et de matériel ferroviaire avec Alstom », souligne-t-il.
« On a aujourd’hui des firmes de génie-conseil qui se battent dans des marchés hyper concurrentiels. La moitié du show-business à Las Vegas est contrôlée par des firmes québécoises. On a réussi dans des milieux extrêmement compétitifs. Alors que nos amis de Toronto brassaient des affaires sur le marché canadien, on est allés au sud et on s’est battus dans plusieurs secteurs pour rattraper le temps perdu », affirme Michel Nadeau.
Crédit aux entrepreneurs
Si, au Québec, il y a autant d’acteurs mondiaux comme CAE, WSP, SNC-Lavalin, Alimentation Couche-Tard, Bombardier et d’autres, le crédit revient aux entrepreneurs québécois, selon le professeur Karl Moore, de l’Université McGill.
Une partie de l’explication, à son avis, vient du fait que pour espérer donner de l’expansion à une entreprise, travailler en anglais est nécessaire. « Les entrepreneurs francophones doivent travailler dans une langue seconde, dans une autre culture. Alors que les anglophones brassent des affaires au Canada et aux États-Unis sans devoir penser à le faire dans une autre culture, les Québécois doivent avoir une vision plus large du monde. Un Québécois doit immédiatement penser à une autre culture alors qu’un Ontarien n’a pas à le faire », dit-il.
Le professeur n’hésite pas à faire un lien avec la Révolution tranquille. « En raison de la situation qui prévalait avant les années 1960, les Québécois ont un sentiment de vouloir faire quelque chose de plus gros, ce qui leur donne plus de courage pour affronter le monde. »
Pour Monique Leroux, ex-présidente du Mouvement Desjardins, Québec inc. n’est pas seulement de belles entreprises comme CGI, par exemple.
Le Québec est fort bien positionné pour se projeter dans l’après-crise parce qu’on a un écosystème financier plus structuré que ce qu’on peut retrouver ailleurs au pays.
Monique Leroux, ex-présidente du Mouvement Desjardins
« Vous ne retrouvez pas ce même niveau de collaboration ailleurs au Canada. On a su développer un écosystème incluant le capital-risque, les caisses de retraite, etc. », précise-t-elle.
« Quand on regarde une ville comme Montréal qui a trois institutions financières avec 400 milliards d’actifs, on réalise qu’on ne trouve pas ça à plusieurs endroits en Amérique du Nord », souligne Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques.
Une nouvelle catégorie
Au début, Québec inc., c’était une nouvelle catégorie de patrons, d’employeurs, de propriétaires francophones, dit Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Ces noms-là sont parfois aujourd’hui les pères de certaines personnes qu’on connaît bien : Rémi Marcoux, Pierre Péladeau, Hervé Pomerleau, Marcel Dutil, et même Paul Desmarais sr, qui était un Franco-Ontarien. »
À ses yeux, ça représentait également une nouvelle catégorie de décideurs francophones qui créent des entreprises et deviennent de grands employeurs ayant des retombées sur l’avancement de toute une classe de travailleurs francophones, qui deviendront des gestionnaires et de hauts dirigeants d’entreprises.
« Ça permet à la fin du XXe siècle de tirer vers le haut un paquet de compétences francophones qui n’avaient pas cette possibilité-là auparavant », dit Michel Leblanc.
Au tournant des années 2000, Québec inc. changera pour devenir beaucoup plus international. « C’est Jean Coutu qui veut prendre de l’expansion aux États-Unis, CGI qui s’étend à l’international et la Banque Nationale qui veut sortir du Québec », raconte Michel Leblanc.
« On a alors toute une nouvelle catégorie d’entrepreneurs du Québec qui contribuent à façonner une vision internationale de notre économie. Aujourd’hui, on a un Québec inc. renouvelé avec de jeunes entrepreneurs qui sont à la tête d’entreprises dans des secteurs où on n’était pas présents avant. »
Viser l’international
Dans bien des cas, dit-il, ce sont des gens qui sentent moins le besoin d’être visibles ici, mais qui voudraient percer à l’international. « On a des jeunes qui partent des entreprises et qui veulent aller rapidement à l’international. Ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas influents sur le territoire québécois, mais ce sont des gens plus axés vers la conquête de marchés et qui veulent s’assurer que les accords de libre-échange sont conclus, mais en même temps que notre propriété intellectuelle est protégée », poursuit Michel Leblanc.
« Donc des gens aujourd’hui qui aident à définir des politiques publiques, qui aident à positionner des enjeux de société, qui sont dans des entreprises souvent plus petites, mais à la fine pointe. »
Pour Michel Leblanc, un entrepreneur comme Éric Fournier, de Moment Factory, est quelqu’un qui en mène large quand vient le temps de réfléchir à l’innovation au Québec. « Même chose avec Louis Têtu, chez Coveo, à Québec, dans le domaine de l’intelligence artificielle. »
Le prochain défi de Québec inc., selon lui, est de bien se positionner dans les nouveaux créneaux porteurs en nouvelles technologies.
Des avantages fantastiques
Un des avantages fantastiques du Québec, selon Monique Leroux, est sa compétence dans les technologies propres.
« On a l’immense avantage d’avoir Hydro-Québec pour bâtir l’écosystème le plus robuste au pays, voire en Amérique du Nord. On a aussi des ressources naturelles substantielles et une dimension technologie numérique distinctive avec l’intelligence artificielle, notamment. On a plusieurs pôles d’expertise et de leadership et des institutions qui prennent le volet ESG [environnement, social et de gouvernance] non pas comme une contrainte, mais comme un levier de développement. C’est la prochaine étape du prochain Québec inc. », dit Monique Leroux, ex-présidente du Mouvement Desjardins.
« On peut prendre le leadership et faire un pas en avant encore plus structurant pour le Québec. On a cette possibilité devant nous. Je suis très optimiste pour le futur », dit Monique Leroux.
« En 1960, 70 % des patrons étaient anglophones au Québec. Aujourd’hui, 70 % des patrons sont francophones. On a réussi à changer la situation et à faire un rattrapage extraordinaire », dit Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques. « On a pas mal réussi 60 ans plus tard. On a comblé le retard qu’on avait avec d’autres provinces canadiennes », dit-il.
L’importance de la Révolution tranquille
Un autre volet important est celui de la Révolution tranquille et de l’éducation. « Vous ne pouvez pas vous poser comme un leader sans avoir avec vous une dimension humaine d’employés, de collaborateurs et d’entrepreneurs qui s’appuient sur un système d’éducation robuste », dit Monique Leroux.
N’eût été la Révolution tranquille et les décisions ayant permis aux Québécois de bénéficier d’un système d’éducation accessible et de « très bonne qualité », Québec inc. ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, croit-elle. « C’est une condition fondamentale pour appuyer la croissance de Québec inc. », dit Monique Leroux. « Sans cela, je sais que je n’aurais jamais pu faire le parcours que j’ai fait. »
Québec inc. est aujourd’hui plus inclusif avec les immigrants et les anglophones, affirme le professeur Karl Moore. « L’ADN a changé », dit-il en faisant remarquer qu’il y a une meilleure cohésion dans le milieu des affaires au Québec que dans le reste du pays.
On sent les gens plus unis ici.
Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill
Un lien direct avec la société distincte, dit-il.
« Par Québec inc., on voulait dire que tout le Québec se met ensemble. Tout le monde ensemble pour bâtir des grandes compagnies et des grandes organisations tant dans le secteur public, coopératif, communautaire que privé. C’est un succès exceptionnel qui mérite d’être raconté », dit Michel Nadeau.
« Les jeunes doivent savoir que les entreprises québécoises qui rayonnent à l’étranger aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose qui est arrivé tout seul. La génération des baby-boomers et les autres qui ont suivi se sont relevé les manches pour bâtir de grandes organisations. Les Québécois n’ont pas à rougir de leur place », affirme M. Nadeau.
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