Par akademiotoelektronik, 19/01/2023
Enfant transgenre : comment accompagner en tant que parents ?
Votre enfant vous a fait part de son mal-être dans son genre et vous ne savez comment réagir. Cela signifie-t-il que votre enfant est transgenre ? Quels comportements adopter en tant que parent ? Éléments de réponse avec Marcel Rufo, pédopsychiatre, professeur d'université et praticien hospitalier.
Sujet tabou il y a encore quelques années, la reconnaissance des enfants transgenres est de plus en plus médiatisée. Ce n'est pas pour autant que ce mal-être est accepté facilement dans nos sociétés et la suspicion ou l'annonce de la transidentité d'un enfant est souvent une déflagration pour toute une famille. Difficile en effet de se positionner en tant que parents, inquiets de l'avenir et des défis que l'enfant devra relever, de trouver les bons mots, la bonne attitude ou de tout simplement savoir précisément ce qu'est la transidentité. Un rapport de la Haute autorité de santé datant de 2009 estime qu'environ une personne sur 10 000 ou une sur 50 000 est transgenre en France.
Définition : trans, transgenre, transexuel, dysphorie de genre, non-binaire... Quels mots sont les plus adaptés ?
Si l'abréviation "trans" est très utilisé dans les médias, les associations et les communautés concernées, il y a des imprécisions en français concernant les mots "transgenre" et "transexuel". En effet, si certains les considèrent synonymes, d'autres définissent le terme "transgenre" comme le fait d'adopter le mode de vie (apparence, pronoms...) de l'autre genre sans nécessairement changer de sexe, alors que "transexuel" ne concernerait que les personnes ayant entamé un processus médical et chirurgical pour changer de sexe.
Attention, beaucoup d'associations dénoncent le fait que "transexuel" ou "transsexuel" renvoient à l'idée de maladie - ce qui n'est pas le cas de la transidentité qui ne se "soigne" pas, et que c'est donc un terme daté qui ne doit plus être utilisé, au profit de transgenre.
Le mieux est dans tous les cas de demander à son enfant quels sont les termes qu'il préfère utiliser, tout comme pour ses pronoms (il/elle/iel/...).
À lire aussiAu cours du parcours habituel, votre enfant consultera un psychiatre qui attestera potentiellement d'une dysphorie de genre. Cela signifie qu'il existe bien un mal-être entre son sexe et son genre, celui qui lui a été assigné à la naissance en fonction de sa formation morphologique.
Par ailleurs, le terme non-binaire relève du fait de ne se sentir appartenir à aucun des deux genres établis, ou de se sentir appartenir à un peu des deux, de façon variable. Des mots en anglais sont souvent utilisés par les communautés concernées pour se définir comme "gender-fluid", "no-gender", "a gender" ou "variant gender".
Enfants transgenres : à quel âge prennent-ils conscience de leur « différence » ?
En septembre 2013, en Argentine, des parents ont été autorisés à changer le genre de leur enfant de 6 ans sur ses papiers d’identité. Son prénom, Manuel, avait alors été remplacé par Luana. Sa mère avait expliqué que « Lulu » s’est toujours senti fille. Quelques mois plus tôt, les parents de Coy Mathis, un petit Américain du même âge, avaient défrayé la chronique. Après avoir porté plainte pour discrimination, ils avaient obtenu gain de cause contre son l’école. L’enfant s’était vu interdire l’usage des toilettes des filles alors qu’il se considérait de sexe féminin. Selon ses proches, Coy aurait commencé à se comporter comme une fille à seulement 18 mois. Les psychiatres, eux, ont diagnostiqué un dysphorie de genre alors qu’il était âgé de 4 ans.
À partir de quel âge peut-on dans ces conditions penser ou déclarer qu'un enfant est transgenre ? Selon le professeur Marcel Rufo, il n'y a pas d'âge limite. « J’ai suivi médicalement une femme transgenre durant plus de vingt ans. Elle a désormais transitionné et est aujourd’hui mariée ». Le pédopsychiatre explique qu'« à partir de 4-5-6 ans, on peut percevoir ce mal-être chez un enfant ». Un rapport du Conseil de l’Europe publié en 2013 précise que le sentiment d’appartenance au sexe opposé peut intervenir à tout moment : à l’adolescence, au cours des « premières années de vie », voire même avant un an, « sans que l’enfant ne puisse le communiquer à son entourage ».
À lire aussi« Contrairement à ce que beaucoup croient, la notion d’appartenance sexuelle n’est pas fixée dès la naissance, indique le professeur Rufo. Dans les années 1970, des chercheurs américains ont réalisé des études dans les crèches californiennes. Ils se sont alors aperçus que les petites filles arrivaient à déterminer leur sexe d’appartenance avant les garçons. Dès 18 mois, elles adoptent des comportements de type féminin : dans le jeu, la façon de s’occuper de leur poupon… elles copient leurs mamans. De leurs côtés, les garçons prennent conscience de leur genre à 20 mois. Bien sûr, ces comportements sont imprégnés par le choix du prénom, les comportements parentaux, les codes sociaux… »
Enfant transgenre : des associations pour nous accompagner après l'annonce ou le "coming out" de notre enfant
« Certains parents se demandent parfois s’ils peuvent acheter un poupon à un garçon ou des petites voitures à une fille. C’est complètement idiot ! Cela n’influence en rien la perception genrée que l’enfant peut avoir de lui-même », martèle le pédopsychiatre, qui rappelle que dans la transidentité, ce sont avant tout des questions de biologie et d'hormones qui sont en jeu.
Quels signes alors peuvent orienter les parents ? Selon le spécialiste, c’est un ensemble de paramètres et il vaut mieux ne pas seréférer à un seul signe, qui pourrait être trompeur. D’autant plus que rien n’est réellement fixé avant que l'enfant ne se revendique comme transgenre : « Un enfant semblant vouloir appartenir au sexe opposé ne sera pas forcément transgenre adolescent ou adulte », assure-t-il.
Les experts cités dans le rapport du Conseil de l’Europe partagent ce point de vue. Les nombreux spécialistes ayant participé à l'élaboration de l'étude insistent en revanche sur le besoin pour les enfants que les parents apprennent à « tolérer » cette incertitude.
À noter : une petite fille transgenre est une fille déclarée de sexe masculin à la naissance mais dont l’auto-perception de genre est celle d’une fille – et inversement pour les petits garçons transgenres.
Cette situation n'étant pas forcément évidente à aborder sans être préalablement informés et formés en tant que parents, il est possible de se tourner aujourd'hui vers de nombreuses associations, aussi là pour aiguiller l'entourage. Mots qui heurtent, travaux psychologiques et administratifs... L'association OUTrans propose par exemple des groupes de parole en mixité en région parisienne, de même que l'association Chrysalide, basée à Lyon, qui a aussi développé un guide à destination des proches de personnes trans accessible en ligne gratuitement. Autre exemple, l'association Grandir Trans, à Tours, a mis en ligne une "boîte à outils des parents" très complète et pédagogique.
Petite fille ou petit garçon transgenre : l'importance d’accepter son choix
Encore bien trop souvent incompris, les enfants transgenres sont plus victimes de harcèlement scolaire et d’agressions sexuelles. Ils sont également plus sujets aux idées suicidaires. Voilà pourquoi, selon le rapport du Conseil de l’Europe, il est essentiel que l’entourage, les parents, l’école, le personnel soignant, acceptent la perception que ces jeunes ont d’eux-mêmes. Erik Schneider, psychiatre et psychothérapeute auteur du rapport, conclut son analyse en soulignant que cette acceptation doit se faire « au niveau sociétal tout entier ».
À lire aussiMais, comme le souligne Marcel Rufo, la société actuelle ne le permet pas totalement : « Si nous vivions dans un monde idéal, beaucoup plus tolérant, les parents accepteraient plus facilement le choix de leur enfant, aussi car ils craindraient moins pour sa sécurité. Mais dans les faits, on opère que rarement en France une personne transgenre avant sa majorité. Durant des années, il va subir une vive intolérance. Je crois qu’on peut respecter le choix de son enfant tout en lui demandant de respecter l’incompréhension que peut provoquer son choix », espère le spécialiste.
Suivi psychologique : comment expliquer qu'il y ait plus de garçons que de filles ?
Les enfants ne verbalisant pas toujours leur ressenti, il passe le plus souvent inaperçu. Autre écueil : les parents refusent souvent d’accepter cette situation et sont alors réticents à consulter un psychiatre pour accompagner au mieux leur enfant en situation de mal-être. Or, comme le souligne le professeur Rufo, le suivi psychologique est important, « non pas pour changer les enfants mais pour les aider à poursuivre leur chemin ».
Il relève par ailleurs qu'il y a un décalage de quelques années entre les parents de fille et de garçon qui consultent pour transidentité : « Je vois davantage de petits garçons en consultation. Le fait d’avoir la conviction de ne pas relever du bon genre existe vraisemblablement de façon proportionnelle chez les filles, mais un "garçon manqué" est moins "inquiétant" pour les parents qu’un "garçon efféminé" ou qui veut être une fille. Pour les parents, cette situation est plus mal vécue. Cela s’explique par le fait que le sexisme est toujours très présent dans notre société. Les petites filles avec lesquelles j'ai échangé étaient en moyenne plus grandes et avaient 7-8 ans à la première consultation ».
Quelle prise en charge médicale lors d'un changement de sexe ?
Si leur nombre reste encore faible du fait de l’incompréhension des parents ou peut-être du silence dans lequel ils se murent, de plus en plus d’enfants consultent les centres médicaux spécialisés dans l’aide à la transition. Mais avant d'en arriver à une transition, de nombreuses étapes doivent être surmontées par les personnes transgenres, d'autant plus lorsqu'elles revendiquent leur transidentité alors qu'elles ne sont encore qu'enfants. Le suivi psychologique va courir sur plusieurs années, comprenant malheureusement dans la majorité des cas la prise en considération de ce qui accompagne ce mal-être : troubles alimentaires, souffrances extérieures liées par exemple à du harcèlement, dépressions, difficultés d'intégration sociale, décrochage scolaire...
À lire aussiCertaines législations autorisent le recours aux « bloqueurs de puberté », une technique qui fait débat puisqu'ils bloquent non seulement l'apparition de caractères sexuels secondaires comme le développement de la pilosité et les modifications corporelles, mais aussi la croissance, la calcification des os, la fertilité... Dans certains pays, comme au Royaume-Uni, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, ces traitements sont réversibles et arrêtent le développement de la puberté de l’enfant, lui laissant le temps de choisir. Les Néerlandais, les premiers à s’être lancés dans ce type de test, recommandent ces bloquants dès l’âge de 10 ou 12 ans, jusqu’à l’âge de 16 ans.
En France, les traitements les plus fréquents sont la prescription d'hormones (testostérone ou oestrogène), ce qui ne coûtera rien à la personne qui transitionne si une affection longue durée lui est reconnue. Néanmoins, aucun traitement hormonal n'est administré en France avant 16 ans, et il faut alors l'autorisation des représentants de l'autorité parentale. De récentes études prouvent que des adultes regrettent avoir changé de genre, même si les chiffres reflètent un effet minime, de l'ordre de 5 %. C'est pour cette raison que le processus reste aussi encadré et restrictif pour les enfants.
Droits : comment aider administrativement mon enfant en tant que parent ?
Premièrement, il est primordial de rappeler que toute injure - sexiste, homophobe ou transphobe, est un délit passible de sanctions pénales. Une injure proférée par discours, cris, menaces, écrit ou image est passible de 12 000 euros d'amende. Si un caractère transphobe est retenu, la peine augmente et passe à 45 000 euros d'amende et un an d'emprisonnement. Il ne faut donc pas hésiter à porter plainte si notre enfant souffre de harcèlement, même s'il ne s'agit pour l'instant "que" d'injures.
Il est possible de demander un changement de prénom à un officier de l'État civil et non plus à un juge, et ce, sans justifier d'un changement de sexe ou présenter un certificat psychiatrique. Le nom attribué à la naissance et évoquant un autre genre, dit "dead name", n'a plus à être utilisé par l'administration, l'environnement scolaire et personnel.
Afin de changer de genre sur les papiers d'identité, il faut prouver devant le tribunal judiciaire du domicile ou de la commune où est conservé l'acte de naissance que la personne se présente publiquement comme appartenant au sexe opposé ; que la personne est connue sous le sexe opposé par son entourage personnel et professionnel ou scolaire ; ou que la personne a obtenu le changement de prénom et souhaite que ses papiers d'identité soient en adéquation avec.
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