Par akademiotoelektronik, 01/02/2022
La légende des bateaux fantômes refait surface dans l'Atlantique
L'histoire de Lyoubov Orlova commence comme un conte de fée : c'est un bateau de croisière baptisé du nom d'une célèbre actrice russe et destiné à la nomenklatura soviétique, qui coule des jours tranquilles sur toutes les mers du globe. Mais sa fin de vie est moins heureuse. En 2010, le navire est saisi par le Canada puis envoyé à la casse en République dominicaine. C'est à ce moment que débute la légende.
Car le Lyoubov Orlova, en pleine tempête, va rompre ses amarres et disparaître, inhabité, à la vue de son remorqueur. Commence alors une longue dérive de plusieurs mois dans les eaux de l'Atlantique. Par deux fois, le navire va émettre un signal laissant penser qu'il prend l'eau. Le second, le 12 mars 2013 indique que le vieux bateau est sur le point de sombrer. Depuis, silence absolu. Le Sun va pourtant rallumer la mèche en annonçant que le navire pourrait se trouver au large des côtes britanniques, infesté de rats "cannibales" n'ayant d'autre alternative pour survivre que de se manger les uns les autres... Mais, dit le Sun, personne ne sait exactement où il est...
Et pour cause, la belle endormie gît très probablement par plusieurs milliers de mètres de fond quelque part dans l'Atlantique, rouillant doucement tout en relâchant dans les eaux profondes les milliers de kilos de matières toxiques contenues dans ses flancs...
Comme une allumette dans une poudrière
Pourtant, l'allumette lancée par le Sun dans un baril de poudre aura provoqué une véritable explosion sur la toile, des milliers de sites s'emparant de l'histoire du bateau fantôme et de ses rats hallucinés par la faim. Les autorités britanniques ont beau démentir la présence du navire, rien n'y fait ! Car la légende des bateaux fantômes est l'un des mythes les plus puissants de l'occident. Pendant des siècles, les épouses de marins partis à l'aventure à la conquête du monde ont cauchemardé sur ces esquifs revenus sans leurs hommes, ces disparitions en mer, ces morts-vivants jamais rentrés de leurs rêves d'or et de gloire... En Bretagne, la légende voulait qu'un navire disparu en mer revienne avec ses trépassés, plus grand qu'il ne l'était, pour hanter les vivants.
Le "Hollandais volant" écume les mers du globe
Le plus célèbre des vaisseaux fantômes est sans nul doute le Hollandais volant du sinistre capitaine Fokke. A la barre de son bâtiment, Fokke réalisait des exploits de vitesse, ralliant la Hollande aux îles lointaines dans des temps si improbables pour l'époque que certains y virent l'oeuvre du diable. Puis un jour, le "Hollandais volant" disparut corps et âmes... Sa légende a donné naissance à une véritable oeuvre littéraire, musicale et même cinématographique puisque la célèbre série des Pirates des Caraïbes s'en inspire notablement . Née au 17ème siècle mais probablement enracinée dans des histoires plus anciennes encore, la légende va rejaillir de loin en loin, à mesure que des témoignages plus ou moins -et plutôt moins que plus- crédibles rapporteront des rencontres fortuites avec un grand navire semblant surgi des flots au plus fort d'un brouillard épais, servi par un équipage de zombies sous la conduite de Fokke. Selon l'époque et les lieux, la légende a beaucoup varié. On l'a aussi parfois associée à la peste, en référence aux rats qui infestaient les navires et qui ont répandu le terrible bacille dans le monde entier. L'accent mis sur les rats "cannibales" dans l'histoire du Lyoubov Orlova n'est d'ailleurs pas sans rappeler ce trait du mythe marin.
Dans les mêmes eaux de l'Atlantique nord que celles où sombra probablement le Lyoubov Orlova, naquit également l'énigme de la Mary Céleste. Le brick sur lequel voyageait le capitaine, sa femme et sa fillette ainsi que sept marins fut retrouvé vide sans trace de bagarre ou d'assaut. Personne ne sut jamais ce qu'il advint de l'équipage et de la famille du capitaine ; et de nombreuses anecdotes fantaisistes fleurirent par la suite à propos de cette étrange disparition. La chronique marine fourmille d'autres exemples du même genre, toujours fondés sur des navires réellement retrouvés vides sans que le mystère soit jamais résolu.
Un mythe universel
Mais pourquoi ces histoires nous fascinent-elles tant ? Pour certains, il faudrait y voir la persistance d'un mythe universel : celui du passage du monde des vivants au royaume des morts, un passage qui s'effectue souvent sur un bateau conduit par un passeur à l'instar du franchissement du fleuve Styx, chez les Anciens, en empruntant la barque du vieux Charon, destination les Enfers. Les Celtes également cultivèrent ce type de mythe, qui perdurera jusqu'au début du 20ème siècle en Bretagne. Les "bag noz" ou "bateaux de la nuit" que l'on ne parvient jamais à accoster, transportent les âmes des défunts vers des îles imaginaires. Les apercevoir ne présage jamais rien de bon... Des références que l'on retrouve tout au long de l'histoire, se déplaçant du domaine des mythes et des rites funéraires à celui de la poésie. Ainsi ce poème du pré-romantique anglais William Blake :
(...) Son mât est toujours aussi haut,sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.Et juste au moment où quelqu’un auprès de moi dit : "Il est parti",il y en a d’autres qui, le voyant pointer à l’horizon et venir vers eux,s’exclament avec joie : "Le voilà".C’est ça la mort.Il n’y a pas de morts,Mais des vivants sur les deux rives.
Surfant sur la célébrité du Hollandais volant, Victor Hugo célébra lui aussi le "sinistre pirate de l'infini" et Wagner, dans le Vaisseau fantôme évoque le passage de la vie à la mort, avec le suicide par amour de Senta, la jeune fille promise au Hollandais.
Mythologie, littérature, contes et légendes mâtinés d'histoires véridiques... Voilà pourquoi la rumeur relancée par le Sun mobilise tant notre imaginaire et, dans la grand tourbillon des médias en ligne et des réseaux sociaux, acquiert une résonance quasi-universelle. Le blog "Où est le Lyoubov Orlova ?" s'amuse à recenser tout ce qui se dit, s'écrit ou se transfère à son propos. Il contient également des archives et des témoignages d'ex-passagers du navire. Et même si le Lyoubov Orlova ne devrait jamais venir s'échouer sur les rochers de la côte irlandaise, écossaise ou galloise, il reviendra sans doute encore hanter les gazettes à intervalles réguliers. Et aussi nos esprits toujours en quête de fantastique.
Thomas Nagant (@thomasnagant)
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