Par akademiotoelektronik, 27/01/2023
Eddy de Pretto : "J’ai tombé le masque"
En se racontant de manière intime et crue sur son premier album il raflait la mise. Trois ans plus tard, revoilà le natif de Créteil avec « A tous les bâtards », ode à la normalité. Rencontre.
Le rendez-vous est calé à la Brasserie Barbès. Juste en face du magasin Tati. Ce quartier fut, pour le jeune Eddy de Pretto , le symbole d’une autre vie possible. «Alice, la sœur de ma mère, vivait juste à côté, raconte-t-il. C’est en allant chez elle que j’ai compris que je pouvais devenir la personne que je voulais être. C’était ma freak de l’époque, elle m’a permis de croire en mes rêves, d’avoir une liberté de ton. Elle était exubérante, aimait l’art, la mode.» Un jour, alors qu’Eddy suçait encore son pouce, cause de raillerie de la part de sa mère, Alice a eu cette réplique cinglante: «Laissez-le tranquille, il finira bien par sucer autre chose.» «Je la trouvais géniale, tatie. Même si toute ma famille savait que je n’étais pas comme tout le monde, elle était la seule à le dire haut et fort.»
Lire aussi:Eddy de Pretto: "Plus jeune, le modèle viril me pesait"
Cette différence, longtemps Eddy l’a cachée. Il préférait jouer à la Barbie qu’au foot, mais dans la rue, à Créteil où il a grandi, il se planquait. «J’ai tellement fait semblant... » soupire-t-il. De toute cette frustration sont nées les chansons d’un premier album, «Cure», sorti en 2018 et vendu à plus de 300000 exemplaires. Ce disque a permis à Eddy le «pédé de banlieue» de devenir un jeune homme écouté, courtisé par les créateurs de mode, en dénonçant l’injonction à la virilité masculine. Quand, à l’été 2019, il met un point final à sa première tournée, Pretto repart au charbon tout de suite. « J’ai écrit près de 60 titres. Je ne voulais pas me lancer dans un journal de bord du succès ou raconter comment ma vie avait changé. Les gens s’en battent les couilles. Non, je voulais embrasser des thèmes colossaux.»
Voilà donc «A tous les bâtards», album coup de poing, véritable manifeste pour la différence. Un cri du cœur de ceux qui veulent se libérer des contraintes et des normes imposées depuis des décennies par le mâle blanc dominant. «Mais c’est tous ensemble qu’on y parviendra, note le chanteur. Il n’est pas question d’exclure qui que ce soit. Pendant longtemps je n’ai pas eu les armes pour m’assumer. Maintenant je sais que ce n’est pas parce que tu es noir, gros, moche ou pédé que tu es anormal. C’est ce que je veux affirmer quand je chante “mes défauts sont devenus attrayants”… » Eddy sait néanmoins qu’il évolue sur un fil. Lui qui a tant aimé le succès – «Quand tu as connu la folie des Zénith, tu as envie que ça fasse partie de toi toute ta vie» – craint le retour de hype. «Alors j’ai travaillé avec une nouvelle équipe, je suis allé plus loin musicalement. Je pense aussi que ce deuxième disque est mieux écrit que le premier», admet-il.
Effectivement. En deux ou trois formules bien troussées Eddy raconte sa vie de chanteur anonyme sur les Bateaux-Mouches parisiens, «quand personne ne te regarde, personne ne t’écoute et personne ne t’entend. C’est grâce à cette expérience que je ne suis pas arrivé sous blister, que je ne suis pas le pédé de banlieue marketé». Il chante aussi dans «Ose» les relations sexuelles entre hommes, bien souvent encombrées de peurs et de normes d’un autre temps selon lui. «Je trouve ça dingue que le corps d’un homme ne puisse pas être totalement utilisé et valorisé, que les normes puissent dire que c’est violent et virulent d’aller dans les parties intimes. Autour de moi, ça reste compliqué. Donc il faut poursuivre la déconstruction masculine: comment ne plus lier les zones anales à une certaine virilité ou à un pouvoir masculin? Si tu vas là, c’est tout mon pouvoir et ma domination qui éclatent en fumée? Non en fait. C’est juste un corps, des sensations, de l’émotion… et c’est ça qui est beau.»
L’album est une ode superbe à tous ceux qui vivent à la marge
Sous ses airs bateleurs, «A tous les bâtards» est en réalité un grand disque d’amour, Eddy s’y mettant à nu, racontant son émoi face à des garçons hétéros. «J’ai bien essayé de les avoir…» rigole-t-il, avant de concéder qu’en 2020 il a enfin rencontré le grand amour, celui qui vous permet de vous abandonner dans les bras de l’être aimé, sans craintes, sans reproches. «J’ai tombé le masque», rougit-il. Il n’a pas de problèmes non plus à évoquer ses addictions. Dans «Désolé Caroline», texte plein de doubles sens, il évoque ses démêlés avec la cocaïne, tout en affirmant être sorti d’affaire. «Ce n’est pas simple de quitter une addiction, que ce soit à une relation amoureuse ou à des stupéfiants. Mais je suis tellement control freak que je n’irai jamais trop loin.» Etonnamment les artistes qui squattent le top des ventes depuis quatre ou cinq ans font partie d’une génération «clean», où l’on se défonce plus au matcha qu’à la vodka. Eddy rigole. «Je pense être le plus rock’n’roll d’entre nous, quand je vois que Nekfeu ou Angèle se jettent sur leur thé vert après un concert… L’époque est si merdique qu’il y a forcément moins d’insouciance. Mais moi j’aime encore me perdre dans la fête… »
En attendant le retour des after-shows, l’artiste s’interroge en beauté dans son disque sur la suite de son aventure, clamant haut et fort qu’il s’agit peut-être de son dernier. «C’est drastiquement ce que je ressens. Mais peut-être que je me mens. Il me faut de la matière, de l’épaisseur, de la vie, du rebond, de l’intensité pour continuer à écrire. Qu’est-ce que ce deuxième album va créer en moi? De la rage? De la frustration? De la tristesse? Je ne sais pas. Je vis au jour le jour.» Au final, «A tous les bâtards» restera comme une ode superbe à ceux qui vivent à la marge. «Je ne veux plus que la société m’impose ses codes. J’en ai trop souffert plus jeune.» Et si ces freaks devenaient nos nouveaux héros? «On est dans le renversement des codes: les bâtards, les étranges, les chelous, les bizarres, les gros, les moches, les pédés, ces mots que j’ai entendus toute ma vie, comment tu en fais quelque chose de positif? Aujourd’hui cela devient du pouvoir et de la force. Quand je vois qu’il y a des groupes queer dans les collèges, qui sont hyper populaires, ça me plaît de ouf! Parce qu’à mon époque ces mêmes groupes étaient montrés du doigt. Plus jamais on ne fera machine arrière.» Parole de bâtard.
« A tous les bâtards» (Romance musique / Universal), sortie le 26 mars. En tournée à partir du 18 octobre.
Toute reproduction interdite
Articles Liés