Par akademiotoelektronik, 19/09/2022
Le scandale « Pegasus » éclate en Inde
En Inde, la suspicion portant sur la surveillance téléphonique ne date pas d’hier. Elle avait été corroborée en 2019, quand WhatsApp avait reconnu que certains de ses utilisateurs, dont 121 en Inde, avaient été infiltrés par l’entreprise israélienne NSO, créatrice du logiciel d’espionnage Pegasus.
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Mais l’ampleur et les cibles de l’espionnage révélé dimanche 18 juillet par 17 médias internationaux, dont le site indien The Wire, sont inédites, dans un pays qui se définit comme « la plus grande démocratie du monde ».
Ministres, juges, journalistes surveillés
Plus de 300 Indiens ont ainsi été potentiellement espionnés au moyen de ce logiciel, selon des données établies à partir de 2018 et recueillies par Forbidden Stories et Amnesty International. Les numéros de téléphone des 300 concernés ont été vérifiés, bien que peu de portables aient été analysés pour identifier la trace des infiltrations.
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La liste comprend deux ministres, 40 journalistes, un juge, un responsable de la Commission électorale, des députés, des chefs de l’opposition dont la principale figure, Rahul Gandhi, et des dizaines de militants, académiciens et autres personnalités. Certains ont été d’importants opposants politiques de Narendra Modi lors de campagnes électorales, dans un contexte de contrôle croissant exercé par son gouvernement nationaliste hindou.
«Les journalistes surveillés, à quelques exceptions près, étaient tous critiques à l’égard du gouvernement : ils n’avaient pas cédé au travail de relations publiques gouvernementales que fait désormais une grande partie des médias», souligne l’écrivain et journaliste Paranjoy Guha Thakurta. Lui-mêmes’est retrouvé sur la fameuse liste. L’examen de son téléphone a confirmé l’espionnage de ses données de mars à mai 2018, alors qu’il enquêtait sur des sujets délicats. «Être sur cette liste a un effet glaçant, admet-il. Il s’agit d’une surveillance ciblée, ce qui envoie un message clair. »
Le déni du régime
De son côté, New Delhi affirme qu’aucun espionnage illégal n’a été entrepris et qu’il n’y a aucune « base concrète ni vérité associée à cela », mais n’a jamais démenti l’achat du logiciel Pegasus. Par ailleurs, la loi sur la protection des données personnelles est une loi en chantier en Inde, laissant des zones grises.
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Le ministre de l’intérieur Amit Shah a quant à lui, estimé que le rapport a été amplifié par des « perturbateurs » afin « d’humilier l’Inde sur la scène mondiale ». Ignorant l’ampleur internationale du scandale, Amit Shah voit une volonté de diffamer son pays par le choix de la date des révélations, qui a coïncidé avec l’ouverture de la session parlementaire de mousson en Inde… Depuis, de hauts responsables de son parti ont pris le relais, dénonçant une « conspiration internationale » et fustigeant l’ambiance « négative » entretenue par l’opposition.
L’opposition dénonce « le meurtre de la démocratie »
« Ce scandale n’est pas seulement une affaire de libertés individuelles ; il concerne la démocratie de l’Inde, commente Paranjoy Guha Thakurta. La pression politique à laquelle va faire face le gouvernement va être très forte. L’une des demandes est qu’il explique qui a acheté ce logiciel et à quel prix ? » Plusieurs éditoriaux des grands journaux ont demandé des comptes.
Les sessions parlementaires ont été perturbées par la controverse et Shashi Tharoor, député du parti d’opposition du Congrès, dirigera le 28 juillet un colloque sur « la sécurité des données ». « C’est le meurtre de la démocratie, a tweeté son parti. Une enquête approfondie doit être lancée le plus tôt possible. » Mamata Banerjee, dirigeante régionale et grande adversaire politique de Narendra Modi, a appelé l’opposition à s’unir face à un « État de surveillance ». Et derrière le scandale, c’est désormais toute l’opposition qui, à l’unisson, demande l’ouverture d’une enquête.
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