Par akademiotoelektronik, 12/08/2022
Rencontre avec Philippe Chenevez, créateur de la bonnette anti-vent Cinela Cosi
lundi20juillet2020Par Benoit Stefani
Période de confinement oblige, cette rencontre s'est déroulée de façon virtuelle et alors que la pollution sonore baissait, la vente de bonnettes Cosi croissait. Philippe Chenevez sur le stand Tapages, lors du Satis 2019, nous présentant les bonnettes Cosi. © Benoît StefaniMediakwest : Vous étiez au départ ingénieur du son, comment en êtes-vous venu à créer Cinela ?
Philippe Chenevez : Après un BTS Louis-Lumière en 1984 et cinq/six ans de prise de son cinéma/documentaire, j’ai intégré la société VDB (fabricant de perches) en 1990 dans le but de… créer une suspension, suite aux difficultés rencontrées, en tant que perchman, du fait de l’hypersensibilité des matériels à l’époque. Mais la montée en puissance des micro-émetteurs a fait que j’ai finalement été totalement occupé par la maintenance des HF Audio Ltd et le développement d’accessoires. En parallèle, j’ai suivi les cours du CNAM en acoustique et vibrations, puis obtenu le diplôme d’ingénieur en 1996.
La vie a suivi son cours et je ne me suis vraiment lancé dans la concrétisation de prototypes qu’en 2005. Les premiers étaient folkloriques et très timidement accueillis par les ingénieurs du son, mais les derniers ont rencontré un vrai succès. La première bonnette MS à « coiffe suspendue » était un amas de ferraille, de plastique et de tissu mal cousu, mais elle a beaucoup servi ! Début 2006, j’étais sans le sou, mais avec un vrai projet à tenter. J’ai donc déposé mon premier brevet et nous avons monté la société avec deux amis et quelques milliers d’euros, mais surtout grâce à l’aide de la société DC Audiovisuel qui a immédiatement financé le premier moule.
MK : Un mot sur vos premiers produits marquants ?
Du côté des suspensions, il y a eu les Osix 1,2 et 3, pour Neumann KM150, Schoeps cmC et Sennheiser MKH50. Nous avions volontairement limité ce choix aux trois micros « phares » de l’époque en prise de son cinéma. Pour les bonnettes, il y a eu la Zephyx en 2007, un système anti-vent à coiffe suspendue pour couple Schoeps MS-CCM. À l’époque, cette configuration assez répandue était horriblement sensible ! Je savais que je pouvais marquer des points avec ce nouveau concept.
MK : Dans votre activité, il semble qu’il y ait le cumul de deux savoir-faire : d’un côté le découplage, la partie suspension ; et de l’autre la réduction de bruit, la protection contre le vent ?
C’est certain, il faut faire appel à la grande famille des phénomènes vibro-acoustiques, très liés. J’en profite pour dire que sur l’aspect purement vibratoire d’une suspension, les modèles actuels permettent de quantifier et qualifier le matériel avec précision. En gros, on est capable de dire si on est loin, ou pas, de limites théoriques. Concernant les protections anti-vent à « cavité » un peu sophistiquées, la complexité des modèles théoriques fait qu’il est très difficile de savoir si on est « au mieux » ou pas. Le défi reste ouvert ! Heureusement, il y a des grandes règles à suivre… autant que possible car elles sont fortement contradictoires !
MK : Comment arriver à survivre sur ce marché de niche ?
Précisément du fait qu’il y a un intérêt à l’échelle de la planète, nous vendons un peu à tout le monde ! Chaque pays a ses habitudes. C’est très intéressant de comparer les profils. Il faut établir des liens étroits avec les revendeurs, et bien sûr avec un maximum d’utilisateurs ! Depuis une dizaine d’années j’ai accumulé une liste de plus de 50 000 e-mails…
MK : Une idée de qui sont, grosso modo, vos clients ?
Essentiellement des utilisateurs professionnels du « son à l’image », principalement en cinéma et en documentaire, mais la production plus récente de systèmes complexes de type « ORTF-Surround » ou « ORTF-3D » (dénomination Schoeps) fait qu’il y a maintenant de grandes entités sportives qui utilisent nos produits haut de gamme. Il y a une majorité d’utilisateurs en Amérique du Nord, mais évidemment beaucoup en Europe et de plus en plus en Asie. Et curieusement, en cette période d’activité ralentie, nous avons une augmentation de commandes portant sur des bonnettes pour la stéréo ou le multicanal. En effet, certains ingénieurs du son étrangers en profitent pour capter des ambiances d’une qualité exceptionnelle, car la pollution sonore est moins élevée que d’habitude !
MK : Avec quels moyens humains et techniques s’effectue la production ?
Nous sommes quatre ! Notre tout nouvel atelier basé dans le 78 est vraiment… parfait ! Nous produisons en série, non pas à la chaîne, mais de manière artisanale. Malgré la pression, nos fournisseurs sont tous situés en France ! C’est ce qui justifie nos tarifs… que certains considèrent « élevés ». Je suis en train de finaliser la grande pièce de mesure avec machine à vent et dispositifs acoustiques. L’équivalent d’une très grande chambre sourde, ciblée pour nos besoins.
MK : Comment est né Cosi, le concept ?
L’apparition progressive des micros ayant une partie arrière de plus en plus courte n’a fait qu’augmenter la difficulté de combiner une suspension et une protection anti-vent frontale. Les dernières générations de tubes à interférences associés à une électronique ultra-courte sont tout simplement inutilisables avec les accessoires « traditionnels ». Il fallait absolument briser le concept habituel. L’idée d’une vraie cavité, entourant complètement le micro, avec suspension unique fixée directement sur la cage anti-vent, a fait son chemin depuis 2017… jusqu’au dépôt d’un brevet européen, obtenu en 2020 !
MK : À quels utilisateurs s’adresse Cosi ?
En fait, tous ceux qui sont confrontés à de la prise de son « mobile » en extérieur sont concernés. En cinéma, l’ultra mobilité et la discrétion de la Cosi sont des atouts majeurs. En documentaire, si vous n’avez qu’un seul accessoire à emporter, c’est une Cosi.
MK : Dans votre vidéo de présentation, on voit beaucoup d’ingénieurs du son enthousiastes, mais le produit s’adresse aussi aux vidéastes. On imagine que pour cette clientèle, le prix peut être un frein…
Dans la vidéo de 2018, les premiers bêta-utilisateurs sur caméra sont deux frères en partance pour un tour du monde à vélo (HeyBro). Depuis deux ans, leur Cosi est fixée sur un GH5 trimbalé en permanence sur un vélo. Zéro problème. Certaines séquences sont bluffantes dans des conditions de vent très difficiles. Le monteur son est ravi ! En fait, sur caméra, Cosi s’adresse surtout à ceux qui veulent avoir un accessoire anti-vent très au-dessus de la moyenne. Un simple essai comparatif suffit à convaincre… d’après ce que tout le monde me dit !!! Il faut juste avoir le bon micro et de quoi le brancher. Tous les micros du marché ne peuvent pas s’adapter, mais il y a pas mal de versions pour des longueurs entre 8 et 18 cm, et des diamètres entre 19 et 22 mm.
MK : Sur Cosi, l’aspect protection anti-vent semble un bon compromis entre transparence et protection, mais moins efficace que d’autres de vos systèmes. Alors, comment qualifier l’aspect anti-vent, comment se compare-t-il à un dispositif type bonnette enfichable et plus généralement comment exprimer l’efficacité d’un système anti-vent ?
La règle primaire s’applique : plus il y a de volume autour du micro (partie acoustique), plus il y a d’efficacité. Donc, bien entendu, le « petit » volume de la Cosi ne peut pas être aussi efficace qu’une plus grosse bonnette telle que Zephyx, Piano ou Pianissimo. En revanche, à encombrement similaire, comparée à toutes les autres protections du marché (très nombreuses), il n’y a pas photo… À chacun de vérifier.
Ensuite, la performance d’efficacité anti-vent ne s’exprime pas en « km/h ». Il est possible de parler en dB d’atténuation, mais il ne faut pas oublier que cette atténuation est très différente selon les endroits du spectre ! Là encore, Cosi est très bien équilibrée. Il ne faut pas oublier qu’une protection anti-vent génère toujours du bruit en présence de vent, même faible. Ce n’est qu’un combat entre les ambiances « masquantes » et les sons utiles ! Il est plus facile de se protéger d’un grand vent au bord de l’océan que d’un petit vent dans le désert.
MK : Enfin, si je pars sur un tournage avec une Cosi et que je suis dans une situation où le vent est trop fort pour ce système, que faire ? Peut-on espérer voir des évolutions de Cosi sur ce point ou faut-il toujours avoir avec soi une solution plus « protectrice ou atténuante » ?
Malheureusement, la Cosi est contre-intuitive. Il est impossible de rajouter des « chaussettes » si le vent augmente, ou si le bruit ambiant diminue. C’est un inconvénient qui découle directement du principe de base : les isolateurs sont fixés directement à même la cage, par l’extérieur. En documentaire, s’il y a un peu trop de vent, il faudra accepter un certain bruit de fond… qui est plutôt bien équilibré contrairement à d’autres protections. En cinéma, il est nécessaire d’avoir un signal utile très propre, même par grand vent, donc il faut aussi prévoir une « grosse » bonnette dans une caisse…
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #37, p. 48-53. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.
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