By akademiotoelektronik, 27/05/2022
ENTRETIEN. « Le cinéma aide à anticiper l’intelligence artificielle »
Alexandre Pachulski aide à décrypter l’intelligence artificielle à travers les films et les séries. Passionnant pour comprendre les enjeux et les risques de l’IA.
Le cinéma permet de rendre plus concrète cette étrange notion qu’est l’intelligence artificielle. En imaginant sans cesse de nouvelles possibilités qui ne se révéleront peut-être pas si farfelues dans le futur. Entretien avec Alexandre Pachulski, docteur en informatique, auteur, conférencier, blogueur et co-fondateur de Talentsoft, éditeur de logiciels.
Comment résumer simplement l’intelligence artificielle (IA) ?
C’est de faire faire à des machines ce qui requiert de l’intelligence humaine. Un domaine bien plus vaste que l’informatique. C’est apparu dans les années 1950, en prenant appui sur les sciences cognitives et humaines.
Le cinéma ne cesse-t-il pas de nous proposer différentes formes d’IA, avant même qu’elles existent ?
Le cinéma, et plus largement la science-fiction (SF), a une capacité d’anticiper. Avec la question sans fin de savoir si la SF inspire le réel ou si les possibilités du réel inspirent la SF. Mais avec 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, à la fin des années 1960, on avait déjà pu imaginer une machine dite intelligente capable de piloter une mission, diriger un vaisseau spatial et converser avec des astronautes. Mais la SF, à 98 %, aborde l’IA à travers des dystopies (N.D.L.R. : monde utopique sombre) et pas des utopies. Les IA décrites positivement sont très rares.
Parce que pour créer une dramaturgie, il vaut mieux un train qui arrive en retard…
La scénariste et réalisateur Aaron Sorkin dit qu’un bon film, c’est la tension entre la quête du héros et tous les obstacles qui se dressent face à lui.
Le cinéma donne donc une idée généralement négative de l’IA ?
Dans 2001 de Kubrick, on voit une machine qui considère que les humains sont des freins à sa mission. C’est exactement là-dessus que reposent toutes nos peurs de l’IA. Est-ce qu’une intelligence artificielle très développée pourrait estimer que l’humain est un frein pour le développement de l’humanité ? Quand on voit l’état de la planète, elle pourrait avoir cette idée ! En fait, quand le cinéma nous incite à nous poser des questions sociétales, politiques, philosophiques, il peut inspirer la réalité et permettre de faire une IA qui nous servira positivement.
Dans Blade Runner, le cinéaste Ridley Scott se demande si les robots peuvent avoir une conscience ?
Le chercheur Yann Le Cun dit que les meilleurs IA ont le sens commun d’un enfant de 2 ans. En même temps, j’ai fait des études en intelligence artificielle dans les années 1990 et tous mes professeurs me juraient qu’une IA ne pourrait jamais gagner au jeu de go. Elle l’a fait. Si une IA peut prendre conscience de signaux correspondant à nos cinq sens, elle peut se forger une forme de conscience. Mais ça ne sera que mécanique.
À moins d’avoir de l’IA avec une part biologique ?
Même si elle a un jour une part de biologique, il y aura toujours un humain derrière qui la programmera, y compris pour qu’elle apprenne elle-même. C’est l’humain qui fixe les objectifs et pose des mécanismes de contrôle.
Beaucoup de films et séries évoquent l’utilisation de l’IA au service de la sécurité ?
Le cinéma donne des scénarios possibles. Dans Person of Interest, une IA surveille toutes les rues du monde avec l’intention de protéger les plus démunis. Une très belle intention. Mais derrière, se posent les questions du traitement des données, les possibles déviances, le droit des gens à enlever leurs données… Dans la série Real Humans, une androïde infirmière refuse de donner un café ou un chocolat au nom de la santé. En fait, l’IA doit correspondre à un projet de société construit avec les citoyens.
Mais le pouvoir politique peut changer…
C’est pour ça que la seule voie de sortie est que les citoyens disposent des données recueillies par des organismes tiers. Autrement, il y aura des blocages sans fin. Regardez l’application Stop Covid, on reste très mauvais parce qu’on ne fait pas confiance à nos dirigeants. C’est un vrai sujet politique. L’IA est un assistant qui doit pouvoir vous dire pourquoi il vous donne cet avis, comme le fait un ami.
Les algorithmes des réseaux sociaux, c’est de l’IA ?
Le but des réseaux sociaux, c’est de vous maintenir chez eux. C’est pourquoi, dès que vous avez vu une vidéo, ils vous en proposent une autre du même style. Le risque, c’est de vous enfermer dans vos propres goûts. Finalement, on vous propose ce qui vous conforte dans vos croyances. Le risque est que l’humain finisse par regarder le monde uniquement à travers de ce qu’il sait déjà. Ça pointe la responsabilité de ces entreprises pour qu’elles poussent vers une IA plus éthique. On ne se sortira pas des questions technologiques sans aborder les questions d’éducation et de société.
Et si chacun pouvait choisir son algorithme, son IA ?
On doit pouvoir penser global en respectant l’individu. Si on ne pense pas à l’intérêt général, on risque de faire des sociétés éminemment individualistes.
Quel est l’avenir le plus proche de l’IA ?
Ce qui va être de plus en plus prégnant, c’est tout ce qui concerne la consommation. Et ce n’est pas une bonne nouvelle. Autrement, l’IA va pénétrer le marché de l’emploi et de la formation de façon intéressante en aidant à développer les compétences pour occuper des métiers nouveaux qui n’existent pas encore. Et dans le domaine de la santé, il y aura beaucoup de choses.
Quel est votre film préféré ?
Le premier Blade Runner. C’est un summum d’esthétisme avec la musique de Vangelis et des acteurs extraordinaires. Avec beaucoup de questions passionnantes : qu’est ce qui compte pour aimer quelqu’un ? Et que se passerait-il si on connaissait notre date de péremption ?
Génération I.A. 80 films et séries pour décrypter l’intelligence artificielle, Ed. E/P/A. 216 pages. 35 €.
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