By akademiotoelektronik, 26/09/2022
In-Q-Tel : le discret activisme du fonds d’investissement de la CIA à l'étranger
PublicitéUn peu de l’argent de la CIA dans l’écosystème des start-up françaises ? Au moins une jeune pousse tricolore aurait bénéficié du soutien d’In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la célèbre agence américaine de renseignement, affirme le quotidien Les Échos, mardi 19 octobre.
La société française en question, Prophesee, fabrique des rétines artificielles dopées à l’intelligence artificielle capables “de percevoir des choses qu'une caméra traditionnelle ne peut pas”, s’enthousiasme In-Q-Tel dans un billet de blog publié le 23 septembre.
Des microsatellites finnois ou des capteurs de sons allemands
Cette start-up parisienne, fondée en 2014 et qui a collaboré avec des géants comme le Chinois Huawei ou le Japonais Sony, serait le premier investissement connu en France d’In-Q-Tel. L’investissement aurait été effectué il y a déjà quelques années, croit savoir le quotidien français, mais il n’a jamais été rendu public par Prophesee, ni par le fonds de la CIA. Encore aujourd’hui, les deux parties refusent de confirmer la réalité de l’investissement, reconnaît le journal économique français.
Ce ne serait pas la première fois qu’In-Q-Tel investit en secret dans une start-up. En 2016, Chris Darby, le PDG du fonds américain, reconnaissait que sur un total de plus de 310 investissements depuis 2001, il y en avait environ une centaine qui n’avaient jamais été rendus publics, rappelle le Wall Street Journal.
Mais l’intérêt du fonds d’investissement de la CIA pour les pépites tricolores est, quant à lui, de notoriété publique. En 2020, l’armée française avait même dû appeler à la rescousse son propre fonds d’investissement - Definvest - à la rescousse pour éviter qu’In-Q-Tel n'entre au capital de Preligens, spécialiste de l’analyse de données de géolocalisation pour le secteur du renseignement et de la défense, avaient raconté Les Échos à l’époque.
La France n’est, d’ailleurs, pas le seul pays européen dans le collimateur de ces investisseurs à la solde de la CIA. Ces derniers sont entrés au capital de start-up espagnoles, britanniques, finnoises ou encore allemandes.
Le fonds américain a ainsi misé sur Iceye, une société finnoise spécialisée dans la construction de microsatellites, sur CounterCraft, un spécialiste espagnol de la cybersécurité, ou encore sur Toposens, un fabricant allemand de capteur de sons 3D.
En tout, In-Q-Tel a officiellement acquis des participations dans quinze jeunes pousses européennes. Et c’est sans compter les éventuels investissements tenus secrets.
Un tropisme européen récent puisqu’il remonte à l’ouverture d’une filiale d’In-Q-Tel sur le Vieux Continent, à Londres, en 2018. Auparavant, l’argent de ce fonds restait sur le sol américain.
De Tetris à la CIA
Historiquement, en effet, In-Q-Tel a été fondé à la fois pour profiter des innovations conçues dans la Silicon Valley et pour financer des start-up américaines dans des secteurs que la CIA jugeait critiques pour les États-Unis, raconte John T. Reinert, un juriste américain auteur de l’une des rares études consacrées à la stratégie d’investissement d’In-Q-Tel parue en 2013.
À la fin des années 1990, la CIA fait face à un double dilemme : son budget avait été sérieusement revu à la baisse depuis la fin de la Guerre froide, et l’agence voit alors la Silicon Valley devenir La Mecque mondiale de l’innovation, sans pour autant pouvoir en profiter. D’où l’idée de créer en 1999 un fonds d’investissement sur le modèle de ceux qui accompagnaient financièrement les débuts de toutes ces start-up à la mode en Californie. À une différence près : In-Q-Tel n’a pas à dégager de profits et fonctionne à 100 % avec de l’argent public.
Pour mettre les jeunes entrepreneurs en confiance, la CIA place à la tête d’In-Q-Tel Gilman Louie, un chef d’entreprise qui n’a aucun rapport avec l’espionnage. Son principal fait d’arme était d’avoir importé aux États-Unis un jeu vidéo soviétique baptisée... Tetris.
In-Q-Tel est rapidement considéré comme un outil très prometteur par l’administration américaine. Dès juin 2001, un rapport de l'organisme indépendant Business Executives for National Security - rassemblant des chefs d’entreprise chargés de réfléchir aux enjeux de sécurité nationale - conclut que ce fonds d’investissement “a permis à la CIA d’identifier rapidement les technologies émergentes qui pourraient avoir un impact sur son activité”.
Mais le succès est controversé. In-Q-Tel est surtout connu du grand public aux États-Unis pour avoir été l’un des premiers investisseurs dans Palantir, le Big Brother du Big Data réputé pour proposer des outils de surveillance électronique aux forces de l’ordre.
Chris Darby, qui a pris la direction d’In-Q-Tel en 2006, a plusieurs fois défendu l’action du fonds d’investissement, assurant que sa collaboration avec des start-up avait permis de sauver des vies. Interrogé en 2016 par le Wall Street Journal, il avait par exemple expliqué comment les travaux d’une société américaine spécialisée dans l’analyse de résidus chimiques présents dans des tapis et soutenue par In-Q-Tel avait permis à l’armée de s’équiper d’appareils capables de détecter la présence de dangereux produits chimiques en Afghanistan ou en Irak.
Compétition globale avec la Chine
Cette structure financière ne se contente pas de faire profiter à la CIA de la manne créatrice de la Silicon Valley. À la tête d’un budget légèrement supérieur à 100 millions de dollars par an, elle essaie aussi de faire émerger des champions dans les domaines stratégiques aux yeux des espions américains.
C’est ainsi que les premiers investissements ont concerné des start-up travaillant dans le domaine des satellites, rappelle le juriste John T. Reinert dans son étude sur In-Q-Tel. Ils se sont ensuite tournés vers l’analyse et le stockage des données ainsi que l’intelligence artificielle.
Aujourd’hui, “les grands enjeux sont l’informatique quantique, les infrastructures de communication 5G, les microprocesseurs et surtout les biotechnologies”, a affirmé Chris Darby en 2020 devant le Congrès.
Une liste de priorités identique à celle des Chinois. Et ce n’est pas un hasard. “La compétition entre les grandes puissances pour savoir qui étendra son influence sur le monde passe par la capacité d’un pays à être technologiquement dominant”, a soutenu Chris Darby.
D’où l’idée d’In-Q-Tel de commencer à investir aussi en dehors des frontières américaines, où la Chine multipliait déjà les acquisitions de start-up. L’ouverture de la première filiale du fonds d’investissement à Londres a ainsi été décidée en 2018, au moment même où l’ex-président américain Donald Trump lançait sa guerre commerciale contre Pékin.
Un an plus tard, une autre antenne a été ouverte en Australie, pays qui est au cœur de la lutte d’influence que se livrent les États-Unis et la Chine dans le Pacifique.
“Cette stratégie est une manière de contrer la ‘menace’ chinoise dans les hautes technologies”, assure le journal Les Échos. In-Q-Tel se sentirait investi d’une mission : proposer une alternative américaine, face à la manne chinoise, aux start-up européennes ou australienne.
Le cas de la start-up française Prophesee illustre parfaitement cette bataille d’investissement. Les Chinois s’intéressent en effet aussi à cette société, puisque le fonds Sinovation et le fabricant chinois de smartphones Xiaomi sont entrés à son capital en juillet 2021...
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