Podle akademiotoelektronik, 07/05/2022
Steven Spielberg : rêves de gosses, cinéphilie et histoire… les obsessions du roi d’Hollywood
1. A travers des yeux d’enfants : Rencontre du 3ème type+Les petits hommes verts, joués par des enfants, viennent à la rencontre de leurs semblables sur Terre.Lire la suite© Carlotta Films
Cinéaste de l’aventure, amoureux de la science-fiction, roi du blockbuster, c’est toute l’industrie hollywoodienne à laquelle, en quarante ans, Steven Spielberg a imposé son pas. Il a douze ans seulement quand,jeune autodidacte, il se lance dans son premier film : The Last Gun, un court métrage tourné en 8mm avec la caméra de son père pour sa tribu scout. Pendant sa jeunesse, en autoproduction, il continue à tourner des films courts, mais aussi un long métrage de science-fiction : Firelight, librement inspiré du film Le Monstre de Val Guest.
Alors qu’il n’a que 21 ans, Steven Spielberg tourne Amblin, un court métrage qui le fera remarquer dans plusieurs festivals ainsi que par le studio Universal qui lui offre un poste de réalisateur pour la télévision. Ce petit film, qui raconte le voyage à travers les routes du Pacific d’un couple d’autostoppeurs, porta chance au cinéaste qui décida plus tard de baptiser sa maison de production "Amblin Entertainment".
Chez Universal, le jeune Spielberg saisit toutes les occasions qui lui tombent sous la main : il dirige Joan Crawford dans un des trois pilotes de la série Night Gallery, tourne le premier épisode de Colombo avec Peter Falk en 1971, et se dirige doucement vers son premier téléfilm : le très remarqué Duel. Ce long métrage inoubliable, au cours duquel un automobiliste est harcelé par un poids lourd sans réussir à apercevoir qui tient le volant, marquera fortement ceux qui allaient devenir les aficionados de la première heure, allant parfois jusqu’à oublier qu’il ne s’agissait que d’un téléfilm. On les comprend : après avoir remporté le Prix du film fantastique à Avoriaz, Duel sort en salles en version longue dès 1973.
A 25 ans, Steven Spielberg a déjà l’étoffe d’un grand cinéaste et les studios lui ouvrent les bras. Il tourne en 1974 Sugarland Express, son premier film pour le grand écran, avec Goldie Hawn dans le premier rôle. Dans la lignée de Duel, ce premier film au cinéma est un road movie désespéré inspiré d’une histoire vraie, dans lequel une jeune femme fait évader son mari de prison et prend un policier en otage pour aller retrouver leur enfant dans la ville de Sugarland. Sélectionné au Festival de Cannes, Steven Spielberg accomplit ses premiers pas au cinéma en remportant le Prix du Scénario. Il s’agit aussi là de sa première collaboration avec John Williams, son compositeur attitré, qui signera la musique de (presque) tous ses films.
En 1975, Spielberg obtient 12 millions de dollars de la part d’Universal pour tourner Les Dents de la mer. Malgré une production houleuse, le film sort en salles au début de l’été 1975 et devient le premier long métrage de l’histoire du cinéma à rapporter plusieurs centaines de millions de dollars au box-office mondial, une somme jamais imaginée par les studios auparavant. A 27 ans, Spielberg vient d’inventer le blockbuster.
Pourtant, la blessure encore vive du divorce de ses parents dix ans plus tôt continue de le hanter et l’incompréhension entre le monde des adultes et celui des enfants s’apprête à devenir un de ses thèmes favoris. Son film suivant, Rencontres du 3ème Type, raconte comment les humains et les extra-terrestres apprennent à communiquer à travers la musique et les ordinateurs. Ce n’est pas un hasard : le père du cinéaste était informaticien et sa mère pianiste.
A travers des yeux d’enfantsC’est à François Truffaut que Steven Spielberg confie un des premiers rôles de Rencontres du 3ème Type. Ce réalisateur mythique de la Nouvelle Vague française s’est illustré en mettant en scène des enfants dès son premier court métrage : Les Mistons. Sur le tournage de la grosse production hollywoodienne, Truffaut est toujours de bon conseil avec le jeune réalisateur américain, en particulier quand il s’agit de faire tourner de très jeunes acteurs, comme dans la scène finale où de petits extra-terrestres sortent de leur vaisseau pour établir le premier contact avec les humains. Ces êtres venus d’ailleurs sont interprétés par des dizaines d’enfants en costumes.
"Je crois qu’il s’intéresse surtout au cinéma", disait François Truffaut au micro du 20h d’Antenne 2, le 25 février 1978.
Pour la deuxième fois dans sa filmographie débutante, le fantastique s’invite dans l’ordinaire. Cette fois, les vacanciers des Dents de la mer cèdent la place à la monotonie d’une banlieue quelconque où l’extraordinaire fait irruption. Le spectateur comprendra vite que le regard d’un réalisateur prodige qui bouleverse l’industrie cinématographique est toujours celui d’un enfant frustré par la banalité de son quotidien, et qui se sert du cinéma pour transcender son univers. Chez lui, l’aventure se cache toujours là où on l’attend le moins !
C’est encore le cas trois ans plus tard lorsque, tout juste trentenaire et déjà plusieurs fois roi du box-office, il révèle son nouveau long métrage qui va changer l’histoire du cinéma pour toujours. Sur une idée de George Lucas, également producteur du film, voici les déboires d’un professeur d’archéologie à l’université qui se transforme en héros intrépide sur le terrain. Ça s’appelle Les Aventuriers de l’Arche Perdue. Il s’agit, bien sûr, des premières aventures du désormais célèbre Indiana Jones (Harrison Ford), élu meilleur héros du grand écran par le magazine Empire en 2015.
En 1982, Spielberg signe le film qui porte à son apogée son identification aux enfants enchantés par le monde, que leurs parents désabusés ne comprennent plus. Dans E.T. L’extra-terrestre, un petit garçon et sa sœur cadette, résidents d’une banlieue bourgeoise et isolée, font la rencontre d’un visiteur de l’espace qu’ils doivent dissimuler à leurs parents incrédules. Trente-cinq ans après sa sortie, E.T. demeure le plus gros carton américain de la carrière du cinéaste.
D’autres personnages de son cinéma seront emblématiques de cette fracture entre adultes et enfants, parents et progéniture. La célèbre confrontation entre Indiana Jones et son père Henry, interprété par Sean Connery, en est un flagrant symptôme. Vingt ans plus tard, le rapport s’inversera lorsqu’Indiana Jones fera la connaissance de son propre fils sous les traits de Shia LaBeouf. Alan Grant (Sam Neill), dans Jurassic Park, a aussi du mal à supporter la présence d’enfants autour de lui. Si Frank Abagnale Jr. (Leonardo DiCaprio) devient menteur et escroc dans Arrête-moi si tu peux, c’est principalement pour attirer l’attention de ses parents et les impressionner.
Robin Williams dans Hook, incarnant une version de Peter Pan qui aurait renoncé à l’Imaginaire – et donc à sa patrie, vieillissant du même coup, symbolise peut-être le mieux cette rivalité spielbergienne entre le monde des adultes et celui des plus jeunes. Une thématique également chère à l’auteur Roald Dahl, dont il adaptera Le BGG – Le Bon Gros Géant en 2016.
Rêves de celluloïdComme nous l’avons dit, c’est par le cinéma que Spielberg enchante le monde et donne chair à ses rêves d’enfants. Son cinéma témoigne d’ailleurs d’une grande maîtrise et d’un immense respect pour l’histoire du 7eme Art. Car avant de devenir le cinéaste emblématique d’une génération, l’inventeur du blockbuster issu du nouvel Hollywood est avant tout un cinéphile hors-pair.
La saga Indiana Jones est le plus frappant indicateur de son amour pour les films vus pendant sa jeunesse. Les trois premiers volets de la franchise, se déroulant dans les années 1930, sont des hommages perpétuels aux grands genres hollywoodiens de l’époque. Les codes du film de cape et d’épée et le cinéma d’aventure sont les principales sources d’inspiration pour cette franchise qui détourne le langage de la chevalerie incarnée par Errol Flynn pour le mêler à l’univers de l’île du Crâne de King Kong. Le second volet, Le Temple Maudit, commence par une scène de danse inspirée, elle aussi, des comédies musicales situées dans des cabarets de l’époque telles que Chercheuses d'or de 1933.
Dans "Les Films des années 1980" (2002, Taschen), Jürgen Müller applique cette lecture au troisième volet de la saga, La Dernière Croisade.
C’est bien cette trinité qu’on retrouve dans chaque volet d’Indiana Jones, en particulier dans Le Temple Maudit où les aventures du héros sont rythmées par les maladresses et les coups d’éclat de Willie Scott (Kate Capshaw) et de Demi-Lune (Jonathan Ke Quan).
Lorsque Steven Spielberg retrouve son héros légendaire à la fin des années 2000 pour un quatrième volet que les spectateurs n’attendaient plus, c’est en suivant une chronologie de rigueur qu’il ne situe plus l’action dans les années 1930, mais vingt ans plus tard, en 1957. L’ennemi nazi a naturellement cédé sa place au bolchévique et le genre auquel on se réfère n’est plus le film d’aventure, mais la science-fiction, emblématique des années 1950. Quitte à contrarier ses fans, c’est tout naturellement que l’archéologue se retrouve confronté aux petits hommes verts.
C’est d’ailleurs à ce genre que Steven Spielberg s’est le plus confronté à travers sa carrière, d’abord avec optimisme à la fin des années 1970 et au début des années 1980, puis avec un pessimisme qu’on ne lui connaissait pas encore à l’aube du nouveau millénaire. Chez lui, la science-fiction ne se déroule jamais dans des galaxies lointaines, très lointaines, comme chez son compère George Lucas, mais toujours à domicile, sur Terre. Prenant à contrepied le cinéma de son enfance, c’est avec bienveillance que les soucoupes volantes débarquent dans Rencontres du troisième type et dans E.T. L’extraterrestre.
Avec Jurassic Park en 1993 et sa suite, Le Monde Perdu en 1997, le réalisateur embrasse une nouvelle fois sa fascination pour les films de monstres des années 1930 et modernise le mythe de King Kong grâce aux romans signés Michael Crichton. Mais, cette fois, son discours est teinté d’un avertissement sur les dangers de la manipulation génétique. Certains cinéphiles s’amuseront même à y voir une parabole sur la possible dérive d’un cinéma assisté par les effets numériques.
Au lendemain de la mort de son ami Stanley Kubrick, Steven Spielberg décide d’adapter un projet sur lequel travaillait le maître depuis longtemps : A.I. Intelligence Artificielle. Dans un futur proche, les êtres humains compensent la perte d’êtres chers en adoptant des androïdes qui leur ressemblent. C’est dans ce cadre qu’un petit garçon robotique sera finalement abandonné par ses parents adoptifs. Il sera alors condamné à chercher sa mère pendant le reste de son existence, qui pourrait bien durer des millénaires.
Si la rencontre entre Kubrick et Spielberg n’a pas mis tout le monde d’accord, c’est avec davantage de succès que sort Minority Report, une adaptation de Philip K. Dick, et première collaboration avec Tom Cruise. Trois ans plus tard, ils se retrouvent pour le remake de La Guerre des Mondes. En effet, le roman d’H.G. Wells avait déjà été porté à l’écran en 1953 par Byron Haskin. Dans la version de Steven Spielberg, les envahisseurs de l’espace cultivent sur Terre une étrange plante qui se nourrit du sang des hommes. Le ton a changé.
Et que dire de l’hommage à la slapstick comédie qu’est 1941, du clin d’œil au film de pirates et aux classiques Disney qu’est Hook et du film fantastique qui se cache derrière la romance Always (dernière apparition à l’écran d’Audrey Hepburn) ? D’ailleurs, l’immense cinéphilie de Spielberg n’alimente pas uniquement ses films les plus divertissants. Elle servira aussi à trouver le ton juste à ses explorations historiques.
Conteur d’histoires, conteur d’HistoireDepuis La Couleur Pourpre (1985, première infidélité à John Williams, puisque c’est Quincy Jones qui en supervise la musique), Steven Spielberg s’offre des périodes de repos loin de la frénésie des blockbusters pour réinvestir dans des projets plus personnels l’immense fortune qu’il génère. Avec Danny Glover, Whoopi Goldberg et Oprah Winfrey dans les premiers rôles, il met en scène le destin d’une famille noire au début du XXème siècle, exposant ainsi les difficultés de cette communauté à trouver sa place au sein de la société américaine après des siècles d’esclavage.
Mais il n’y a pas que l’histoire de l’Amérique qui l’intéresse. Deux ans plus tard, avec L'Empire du Soleil, Spielberg retrace l’occupation de la Chine par le Japon et la Seconde Guerre mondiale côté Pacifique à travers les yeux du jeune James Graham (Christian Bale), enfermé dans un camp de prisonniers pendant tout le conflit. Cette Seconde Guerre mondiale, justement, Steven Spielberg s’apprête à l’explorer plus en profondeur dans les années 1990 en signant deux films qui feront polémique, mais lui vaudront chacun un Oscar du Meilleur Réalisateur.
En 1993, juste après son amusant Jurassic Park, Spielberg devient le premier réalisateur de l’Histoire à transgresser un tabou : réaliser un long métrage reconstituant de façon fictionnelle le camp d’extermination d’Auschwitz avec La Liste de Schindler. Si son film a été très largement applaudi dans le monde entier (notamment pour la photo en noir et blanc de Janusz Kaminski, prenant le relais de Douglas Slocombe auprès du réalisateur), certains critiques se sont montrés plus ambivalents à la découverte du film. Dans le N°43 de Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, François Garçon signe un texte intitulé : "Entre l’holocauste et l’épouvante, ‘La Liste de Schindler’."
Elogieux sur la façon dont le cinéaste a su ne pas tomber dans certains pièges de la reconstitution historique et faire preuve d’un certain talent de metteur en scène, le critique a tout de même émis des réserves qui peuvent se résumer par ces lignes :
Après Amistad, reconstitution historique sur la fin de la traite des esclaves au XIXème siècle, le prodige d’Hollywood renoue avec la polémique pour Il faut sauver le Soldat Ryan, récit humaniste de la recherche d’un jeune militaire qui doit rentrer chez lui et du sort de la section chargée de le retrouver. C’est la première scène qui fera le plus parler d’elle : une reconstitution ultra-violente – et donc réaliste – du débarquement du 6 juin 1944 vécu du point de vue des premiers soldats américains à poser le pied sur la plage.
Afin de parvenir à ses fins (devenir le premier cinéaste à s’emparer de ces sujets avec justesse), Steven Spielberg a dû réviser ses classiques, retenir les meilleures trouvailles des films de guerre préexistants et s’affranchir de leurs maladresses. Malgré la présence de Tom Hanks, Vin Diesel et Matt Damon au générique de Il faut sauver le Soldat Ryan, on y retrouve le grand spectacle du Jour le plus long sans tomber dans l’écueil du glamour.
Après une pause au début des années 2000 où il s’autorise à adapter deux faits divers avec décalage et légèreté (Arrête-moi si tu peux en 2002 et Le Terminal en 2004), Spielberg retrouve des sujets plus graves avec les conséquences de la prise d’otages des athlètes israéliens aux Jeux d'été de Munich en 1972 (Munich, 2005). Et puis le voici dans la Première Guerre mondiale, retraçant le conflit à travers les yeux d’un cheval qui va de propriétaire en propriétaire dans Cheval de Guerre, adapté d’un roman jeunesse de Michael Morpurgo. C’est l’occasion pour le réalisateur humaniste de rappeler qu’hormis les 18,6 millions d’êtres humains tués entre 1914 et 1918, dix millions de chevaux ont également trouvé la mort.
Avec Lincoln, portrait fiévreux du 16ème Président des Etats-Unis, Spielberg offre un troisième Oscar du Meilleur Acteur à Daniel Day-Lewis en 2013. Il retrouve Tom Hanks pour Le Pont des Espions et Pentagon Papers, deux films se déroulant au début des années 1960 et 1970, il s’inspire librement des films d’espionnage et des thrillers paranoïaques de l’époque pour reconstituer deux épisodes de l’histoire des Etats-Unis où des héros ordinaires ont joué un rôle crucial dans un scandale international.
Au service de son publicComme il l’a montré en 2011 avec Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, Spielberg sait faire plaisir à ses fans dans le monde entier. Interrogé à plusieurs reprises sur les similitudes entre Indiana Jones et le héros d’Hergé, le voilà qui se lance, avec Peter Jackson à la production, dans la mise en scène d’un épisode de la bande dessinée belge en motion capture, les acteurs originaux cédant leur place à une version numérisée de leur performance. Sans conteste, le succès fut davantage au rendez-vous de notre côté de l’Atlantique. En France, il s’agit même d’un des plus gros succès de sa carrière avec Les Dents de la mer, E.T., les trois premiers Indiana Jones et Jurassic Park.
C’est dans ce même esprit de communion avec son public que Steven Spielberg décide d’adapter en 2017 Ready Player One, un roman de science-fiction destiné à un jeune lectorat qui rend hommage au maître hollywoodien et à toute la pop-culture qu’il a engendrée. En écrémant avec modestie la plupart des références à sa carrière, le réalisateur qui a changé l’histoire du cinéma et fait naître à lui seul une nouvelle génération de spectateurs livre sans doute le plus spielbergien de ses films.
Ready Player One se passe dans un futur proche, dans un monde dévasté par la surpopulation et le corporatisme des adultes. Mais une bande d’adolescents rêveurs et dopés à la pop-culture de la seconde moitié du vingtième siècle va s’opposer à eux. Tout y passe : de la cinéphilie à l’histoire contemporaine en passant par les jeux vidéo (que Spielberg affectionne particulièrement) à la littérature grand-public… Si Ready Player One est à l’origine une déclaration d’amour au cinéaste en forme de roman-jeunesse, le film est une réponse affectueuse du metteur en scène à ses fans.
Né en 1946, avec presque 60 ans de carrière à son actif, Steven Spielberg peut se vanter d’avoir rapporté plus de dix milliards de dollars de recettes à l’industrie hollywoodienne et réuni près de cent millions de spectateurs français dans les salles de cinéma. Des chiffres auxquels aucun autre cinéaste ne peut prétendre à ce jour.
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