Podle akademiotoelektronik, 12/11/2022
Hermès ou l'occasion ratée des Européens d'être autonomes dans les vols habités
En 1992, l'Agence spatiale européenne abandonnait le programme de petite navette spatiale Hermès et faisait une croix sur une autonomie en matière de vols habités. Trente ans plus tard, alors que de nombreux responsables et spécialistes du secteur spatial s'interrogent sur l'utilité de doter l'Europe d'un véhicule habité, nous avons rencontré François Leproux, auteur d'un essai sur le programme Hermès. Une interview passionnante qui aborde tous les aspects de ce programme peut-être trop ambitieux pour son époque.
Vous aimez nos Actualités ?Inscrivez-vous à la lettre d'information La quotidienne pour recevoir nos toutes dernières Actualités une fois par jour.Cela vous intéressera aussi[EN VIDÉO] SpaceX : revivez le lancement réussi du premier vol habité de Crew DragonPour la première fois de l’histoire de la conquête de l’espace, une société privée a réalisé une mission habitée. SpaceX, fondée il y a seulement moins de 20 ans, a réussi le lancement de son système de transport spatial avec deux astronautes à bord qui sont en vol à destination de la Station spatiale internationale. Le Falcon 9 a décollé et mis en orbite le Crew Dragon sans encombre.
Dans nos articles, quand il s'agit de traiter de sujets liés aux vols habités européens, Futura fait souvent référence au projet d'avion spatial Hermès pour souligner l'occasion ratée des Européens d'être aujourd'hui autonomes en matière de vols habités. En effet, depuis cet abandon, l'ESA a fait le choix de la coopération internationale -- et donc de troquer les vols de ses astronautes -- plutôt que de développer sa propre infrastructure de transport spatial habité.
Cela dit, le programme Hermès ne peut évidemment pas se résumer à cette seule ambition ratée qui s'explique notamment par un manque de volonté politique. Hermès, c'est aussi une histoire, longue de plus de vingt ans, qui, si elle n'a pas permis de faire voler cette petite navette spatiale, a tout de même favorisé l'acquisition pour l'Europe de nombreuses technologies nécessaires aux vols habités. Sur ce point, l'héritage d'Hermès est conséquent.
Pour se faire une idée plus précise de l'histoire du programme Hermès, des premières études à son abandon, nous avons profité de la sortie en librairie d’un essai sur le programme Hermès pour rencontrer son auteur, François Leproux. Cet ingénieur en mécanismes spatiaux, président du groupe 3AF Grand Est et spécialiste du secteur spatial, est revenu sur l'histoire de cette navette spatiale, ses motivations et les raisons de son échec ainsi que son héritage technologique. Une interview passionnante.
Voir aussiVols habités : l'ESA a fait le choix de la coopération internationaleDifférents concepts de navette spatiale étudiés dans le cadre du programme Hermès avec les lanceurs Ariane 4 et Ariane 5. © François Leproux
Futura : qu’a-t-il manqué à l’Europe pour se doter d’un système de transport spatial habité ?
François Leproux : Si un manque de volonté politique a indéniablement manqué à Hermès, d'un point de vue technique, le concept était aussi très ambitieux. En novembre 1992, date de son abandon, il s'est avéré irréalisable, techniquement et financièrement, dans les conditions envisagées à l'origine. Il y avait de nombreux sauts technologiques à franchir. Arriver dans le domaine du transport spatial habité avec un avion était très ambitieux, un peu comme si l'Europe avait voulu passer du train à vapeur au TGV sans passer par l'étape capsule comme l'ont si bien fait les Russes, les Américains et aujourd'hui, la Chine et SpaceX.
“Ce qui a manqué aussi à Hermès, c’est que ce projet n’était pas aussi fédérateur qu’ArianeCe qui a manqué aussi à Hermès, c'est que, contrairement au programme Ariane qui a fait l'unanimité autour de lui du fait qu'il devait donner à l'Europe un accès autonome à l'espace, ce projet n'était pas aussi fédérateur qu'Ariane. Quelques pays n'étaient pas convaincus de l'utilité d'un avion spatial.
Pour l'Italie et l'Allemagne, Hermès et les vols habités ne se justifiaient pas. Le programme était vu comme un projet technologique sans grande valeur opérationnelle à la manière du Concorde.
Il y avait aussi une certaine incohérence industrielle. Le partage des tâches entre l'ESA, les agences nationales et les industriels n'était pas complètement tranché, satisfaisant. Le socle du programme était trop fragile.
Incohérence industrielle ? C’est-à-dire ?
François Leproux : Il faut savoir qu'à l'origine Hermès est un programme français. Lorsqu'il a été question de « l'européaniser », le gouvernement français avait déjà choisi ses propres industriels pour le réaliser. Dassault-Breguet et Aérospatiale étaient en charge de l'essentiel du développement de l'avion. Une situation qui a été mal vue par ses partenaires européens. Il a aussi été reproché à la France d'utiliser l'ESA pour financer ses propres ambitions spatiales. Cela dit, la création d'EuroHermèspace aura été une tentative intéressante pour réunir au sein d'une même structure les industriels francais, allemands et italiens. Dissoute avec l'abandon d'Hermès, elle a comme mérite d'avoir jeté les basesd'Arianegroup.
En 1992, le contexte orbite basse n’était-il pas celui envisagé au moment de la décision de développer Hermès ?
François Leproux : Oui. Lorsque la décision a été prise d'abandonner Hermès, le contexte avait énormément changé depuis la fin des années 70. Le LEO-hub imaginé quelques années plus tôt et qui pouvait justifier une présence humaine quasi permanente en orbite basse n'était plus envisagé avant un horizon de plusieurs décennies. D'une certaine manière, ceux qui avaient imaginé l'émergence d'une économie de l'espace en orbite basse avec une utilisation élargie à une large gamme de services étaient trop en avance sur le temps ! Le LEO-Hub est en train de devenir une réalité favorisé par l'arrivée d'acteurs du Newspace.
Le saviez-vous ?
Ce futur LEO-Hub comprendra un bon nombre de nouvelles activités et débouchés commerciaux comme :
Les promesses non tenues de la navette spatiale n’ont-elles pas été un frein à Hermès ?
François Leproux : C'est un point essentiel. Au départ, Hermès a été imaginé pour desservir une petite station en orbite basse et rapporter sur Terre des matériaux fabriqués en orbite. Pour les Européens, il n'était pas concevable d'arriver avec une capsule alors que les Américains et les Russes développaient une navette. À l'époque, le concept de la capsule habitée apparaissait dépassée. Quand, après seulement quelques vols opérationnels, la Nasa s'est rendue compte que sa navette spatiale était dangereuse et compliquée à utiliser de sorte que l'on ne pouvait pas aller dans l'espace aussi facilement que lorsque l'on prend l'avion, le projet Hermès était remis en cause.
La masse d’Hermès ?
François Leproux : Ça été un gros problème tout au long du développement. Les premières études de dimensionnement d'Hermès se sont basées sur la performances prévues d'Ariane 5avec une capacité à lancer 15 tonnes en orbite basse. Au fil du développement, la masse de l'avion spatial s'est alourdie pour finir à 17 tonnes. Après la perte de la navette Challenger et son équipage, il a été décidé d'ajouter des sièges éjectables. On a également doté Hermès d'un module séparable, d'un cône d'amarrage et de batteries, ce qui a alourdi l'avion. Le dernier concept d'Hermès ne pouvait plus être lancé par Ariane 5 !
Les concepts Hermès de l'Aérospatiale devenue aujourd'hui Airbus, et de Dassault, alors Dassault-Breguet Aviation. © François Leproux
Hermès était assez différente de la navette américaine. On avait l’habitude de dire qu’elle corrigeait de nombreux « défauts » de la navette américaine. On peut donc s’étonner du choix de la Nasa pour la navette telle qu’elle a été conçue ?
François Leproux : Effectivement. La différence fondamentale entre Hermès et la navette spatiale était son intégration à son lanceur. L'avion spatial européen était situé au-dessus du lanceur Ariane 5 et non pas contre, comme c'était le cas pour le shuttle. Cela avait comme principal avantage qu'Hermès était protégée de la chute de débris (mousse isolante, glace par exemple) et qu'en cas d'explosion du lanceur, l'équipage était situé à 20 mètres, ce qui pouvait lui laisser des chances supplémentaires de survie. De plus, la navette américaine avait comme autre inconvénient qu'elle devait transporter un équipage conséquent et avoir la capacité de transporter des engins spatiaux de l'armée américaine, voire de les ramener sur Terre. Deux exigences qui se nuisent mutuellement. Dans le cas d'Hermès, la fonction de transport de charge utile était dévolue à une Ariane 5 classique.
La Nasa était consciente que son choix n'était pas optimal pour la sécurité des équipages. Elle devait composer avec les exigences des militaires qui souhaitaient pouvoir lancer la navette depuis Vandenberg, et récupérer des charges utiles de très grandes tailles en orbite, d'où le grand volume de la soute du Shuttle. La taille de la soute a contraint les ingénieurs à doter le Shuttle de grandes ailes Delta au lieu de l'aile droite imaginée initialement, ce qui a abouti à un véhicule moins sûr que prévu.
En terme de sécurité, Hermès visait plus de 99,999 % (la fiabilité du lanceur Ariane 5 étant de 99 %), les 0,001 étant couverts avec un système d'éjection des équipages, ce qui a manqué à l'équipage de Challenger qui n'est pas décédé dans l'explosion de la navette mais lors de son crash dans l'océan.
Hermès, telle que l'envisageait en 1987 l'Agence spatiale européenne. © ESA, D. Ducros
Cela dit, malgré l’abandon d’Hermès, ses avancées ont bénéficié directement ou indirectement à l’ensemble des programmes spatiaux
François Leproux : Effectivement. Mais pas seulement dans le domaine spatial. On peut citer pêle-mêle les logiciels de modélisation en hypersonique, les architectures en sûreté de fonctionnement, les matériaux thermiques de troisième génération, les corps semi-portants par exemple. Ainsi, à partir des briques technologiques d'Hermès, des programmes sont nés comme l'ATV, l'ARD et le Space Rider. L'IXV, le démonstrateur de rentrée atmosphérique, est le programme qui a bénéficié le plus des développements initiés pour Hermès (matériaux thermiques, design aérodynamique notamment).
Concernant le design d’Hermès, les choix de Dassault se sont-ils avérés excellents ?
François Leproux : Oui. Initialement envisagée comme une « mininavette spatiale américaine », son allure s'est progressivement dirigée vers celle d'un avion à aile delta sans empennage vertical, celui-ci étant remplacé par deux winglets en bout d'aile. Une configuration si bien optimisée que la Nasa a reconnu que ce concept imaginé par Dassault, d'une aile très fine avec des winglets à ses extrémités était très pertinent. D'ailleurs ce design est repris par de nombreux projets d'avions spatiaux comme le Dream Chaser. Cette configuration a notamment été testée en vol par le X-38 dans le cadre du programme CRV qui devait donner naissance à un véhicule de secours des équipages de l'ISS.
Voir aussiVols habités : quand l'Europe va-t-elle prendre son autonomie ?Quels sont les autres domaines qui ont profité d'Hermès ?
François Leproux : On en parle moins, mais Hermès a été un accélérateur dans le développement de nombreuses technologies qui ne sont pas dans le domaine spatial. À titre d'exemple, on citera le logiciel Catia de Dassault. Initialement développé pour le programme des avions Rafale, Hermès a sans aucun doute stimulé sa mise au point. Le développement des piles à combustible a aussi été accéléré avec Hermès, tout comme les commandes de vol électrique qui étaient aussi développées en parallèle pour l'Airbus A320. Les algorithmes de pilotage en orbite et d'arrimage en orbite d'Hermès ont été utilisés par l'ATV et sont encore utilisés pour les satellites. Si, à proprement parler, Hermès n'a pas donné naissance à de nouvelles technologies, il faut savoir que le programme aurait pu favoriser la création d'une filière en Europe dans le domaine des écrans plats de cockpit.
Un Hermès demain ?
François Leproux : Je suis assez convaincu que l'Agence spatiale européenne décidera de doter l'Europe d'un accès automne à l'espace pour ses astronautes. Les dissensions très fortes des années 80 entre la France, l'Allemagne et l'Italie sont moins évidentes aujourd'hui. L'Italie est un supporter assez fort et, en Allemagne, il y a moins d'objections qu'auparavant.
Josef Aschbacher, le nouveau directeur général de l'ESA fait énormément la promotion du vol habité. Tous les voyants sont au vert d'autant plus qu'avec la version lourde d'Ariane 6, les Européens ont un lanceur dont les capacités lui permettront de lancer un véhicule habité qui sera certainement une capsule. À cela s'ajoute que la France qui a pris au 1er janvier la présidence de l'Union européenne pourrait faire accélérer les choses en vue de la prochaine conférence ministérielle de l'ESA prévue fin 2022.
Hermès, une ambition en héritage, aux éditions Jpo Altipresse.
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