Par akademiotoelektronik, 22/07/2022
Brigitte Macron : "Il y a des moments dans la vie où il faut faire des choix qui impactent le restant de vos jours"
Une campagne en annonce-t-elle une autre ? Jusqu’au 5 février, Brigitte Macron s’engage pleinement dans l’opération Pièces jaunes 2022 (1). Le moment-clé pour celle qui préside la Fondation des Hôpitaux depuis juin 2019 et s’investit toute l’année auprès des enfants et adolescents hospitalisés. Mais bien évidemment, à quelque soixante-dix jours du scrutin présidentiel, son visage se tourne aussi vers une autre campagne, qui ne dit toujours pas son nom à l’heure où nous bouclons, mais pour laquelle elle ne manque pas d’atouts. En cet hiver au climat éruptif, l’épouse du chef de l’État est consciente du capital sympathie qu’elle incarne.
Accessible, cultivée, drôle, la professeure de Lettres d’Amiens au destin magistralement romanesque s’est, en quatre années et demie, révélée très douée dans ses rencontres sur le terrain comme sur les rares plateaux télé qu’elle a acceptés, et elle a su cultiver un réseau des plus people aux plus associatifs. À l’Élysée, où elle a reçu l’équipe de Madame Figaro, elle a ouvert largement les portes de l’aile gauche du palais et accepté la séance photo avec plaisir. On passe du lumineux salon Pierre Paulin, extraordinaire héritage d’une commande de Claude et Georges Pompidou au designer en 1972, au bureau tapissé de fleurs de Brigitte Macron, dans le salon des Fougères.
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Sur sa grande table de travail en bois et cuir beiges, dessinée par Matali Crasset, s’accumulent les photos de famille, et les livres. Molière, mais aussi Karine Tuil avec La Décision, Clara Dupont-Monod avec S’adapter occupent ce jour-là le haut des piles. C’est parti pour une heure trente d’entretien au style franc et direct où, des enfants hospitalisés au féminisme, en passant par le numérique et le poids de la norme, Brigitte Macron, si elle ne dévoile pas tout, n’élude rien. Un exercice d’équilibriste.
Madame Figaro. - Quel mot définirait le mieux votre état d’esprit ?Brigitte Macron. - Combattante. Parce que notre action est à destination des enfants, des adolescents et des familles qui mènent un combat. Il faut beaucoup de courage pour se battre contre une maladie. Pour les soignants aussi, qui eux se battent chaque jour avec beaucoup de volonté et de détermination pour leurs patients. Notre rôle avec la Fondation des Hôpitaux consiste à les aider à traverser cette période difficile, à soutenir leurs combats.
«Fatigue, inquiétude, incertitude» pèsent sur le moral des Français, selon l’enquête de la Fondation Jean-Jaurès (2). Dans un espace de communication saturé par l’hôpital depuis deux ans, comment parvenez-vous à mobiliser autour du mieux-être des enfants et des adolescents hospitalisés ?Cette pandémie est venue bousculer nos habitudes et nos certitudes. Mais ce bouleversement se heurte à une constante, la confiance des Français dans leurs hôpitaux et dans le personnel soignant. Une opération comme les Pièces jaunes a, dès sa mise en place, connu un très grand succès car les Français ont pu rapidement constater sur le terrain tous les projets qu’elle permet de financer. C’est notamment pour cette raison qu’ils se mobilisent en nombre chaque année.
Vous avez été élue à la tête de la Fondation des Hôpitaux en juin 2019. Et connu, huit mois plus tard, entre mars et mai 2020, l’urgence de la pandémie et le contact permanent avec les médecins. Comment résumer cette période inédite ?Le premier confinement a été une période intense. Avec l’équipe de la Fondation, nous passions nos journées au téléphone, les appels pleuvaient, de particuliers, d’entreprises, d’artistes. Les uns envoyaient des chèques, les autres organisaient des actions de collecte de dons… On ne dira jamais assez la générosité dont les Français ont fait preuve. Nous avons soutenu les hôpitaux en manque de respirateurs ou d’autre matériel. Puis, nous avons aidé les établissements de santé mentale ainsi que les Ehpad, auxquels nous avons fourni 40.000 tablettes pour maintenir le lien avec les familles, des chefs nous ont aidés à composer et distribuer des repas… Les dons dédiés aux soignants nous ont ensuite permis, en 2021, de financer l’aménagement d’espaces où le personnel médical peut se reposer, recevoir également les soins d’ergothérapeutes ou de kinésithérapeutes.
Dès le premier confinement, les violences faites aux enfants ont augmenté. Quelles informations remontent alors vers la Fondation, et qu’en faire ?On m’a très vite alertée à ce sujet. Maltraitance, bébés secoués, violences physiques et psychiques intrafamiliales… Les pédopsychiatres faisaient état de véritables abominations. Nous avons donc lancé un programme de dépistage, de diagnostic et de suivi des enfants victimes de maltraitance. Ils passent tous à un moment ou un autre par l’hôpital. L’enjeu est alors de les repérer pour leur dire : «On va s’occuper de vous, physiquement et psychologiquement, et vous accompagner», parfois jusque devant un juge. Nous avons créé des unités mobiles, composées d’un médecin formé à la maltraitance, d’un psychologue ou infirmier, et d’un assistant socio-éducatif. Ces unités existent désormais dans plusieurs hôpitaux. Nous étudions la possibilité d’en créer d’autres à Amiens, Strasbourg, Bordeaux et Marseille. Ces brigades volantes se déplacent d’un hôpital à l’autre, mais aussi dans les écoles en cas de tentative de suicide ou de harcèlement. Cela s’inscrit au sein d’un grand plan Adolescents et enfants à l’hôpital, qui comporte également un volet éducation.
"J’ai reçu de nombreuses lettres d’élèves harcelés"
Comment vous êtes-vous emparée plus spécifiquement de la question du harcèlement ?Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, très sollicité à ce sujet, m’a demandé de m’engager à ses côtés. Et j’ai personnellement très vite reçu aussi de très nombreuses lettres et beaucoup d’e-mails d’élèves harcelés, ou de leurs parents. Sans doute se disent-ils qu’en tant qu’enseignante, j’ai été confrontée au problème.
Est-ce le cas ? De cette expérience dans les classes, que gardez-vous ?Les victimes disent peu leur souffrance, car une forme de honte et de culpabilité s’installe dans leur esprit. Mais on peut les repérer. Le regard des enfants harcelés change radicalement, cela se produit parfois du jour au lendemain. Leur look évolue, certains multiplient soudain les couches de vêtements, d’autres, d’ordinaire très élégants, se laissent aller… Leur travail à l’écrit s’en ressent, on le voit en corrigeant leurs copies. Les professeurs d’éducation physique notent que certains refusent de se mettre en tenue de sport ou en maillot de bain, le personnel de la cantine observe que d’autres ne mangent plus, les infirmières ou les documentalistes aussi peuvent alerter. Il faut apprendre à repérer ces signes, y compris lorsqu’il s’agit de cyberharcèlement, auquel je m’attaque depuis 2017.
Vous avez rencontré les patrons de Google, Facebook, YouTube, Instagram et TikTok. Que leur demandez-vous ?Je leur dis qu’il est temps d’agir. Je ne demande pas la lune, seulement le respect du seuil légal de 13 ans (la loi française empêche un enfant de s’inscrire sur les avant cet âge, NDLR), le recrutement de modérateurs francophones et des programmes d’aide aux enfants et adolescents. Nous avons aussi besoin d’outils permettant de supprimer rapidement certains contenus. Beaucoup sont démunis, ne connaissent pas le 3018, le numéro national d’assistance géré par l’association e-Enfance, que la Fondation va soutenir. Les patrons des réseaux sociaux disent saisir l’ampleur du problème, mais ils commencent tout juste à agir, sans doute pour répondre aux nombreuses études menées sur l’impact calamiteux des réseaux sociaux sur les plus jeunes. Le harcèlement flambe au collège, et souvent même dès l’école primaire, c’est extrêmement préoccupant. Est-ce que j’en fais trop ? Je ne sais pas, mais une sorte de certitude me pousse à agir. Je n’ai pas de compte moi-même, mais je ne suis pas antiréseau.
Les jeunes y trouvent aussi des informations, du soutien, de la consolation…Absolument ! C’est Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Je parle souvent du second, mais je n’oublie pas le premier. Internet et les réseaux sociaux peuvent apporter le meilleur. Malheureusement, le roman de Stevenson finit mal : Mr. Hyde prend le dessus et le Dr. Jekyll ne peut plus redevenir lui-même. Le même défi se pose au numérique.
Brigitte Macron, la Cover StoryVoir le diaporama9 photosLe harcèlement est lié au poids de la norme, à la sanction de la différence. Comment abordiez-vous cette question dans vos cours ?Vous abordez la norme dès que vous avez un texte sur la morale, sur la tolérance. Donc vous entrez en rapport avec ce qui est bien, ce qui est mal. Mais c’est vrai que je ne suis pas forcément à l’aise avec cette notion de norme, je ne l’ai jamais été. Car je ne me sens pas habilitée à juger ce qui est dans la norme. C’est même une révolte chez moi, quand, à longueur de temps, on veut nous dire ce qui est bien ou non, ce qu’on doit penser.
Vous-même avez un parcours de vie qui n’est pas dans la norme…C’est vrai mais je ne l’ai pas cherché. Ça m’est tombé dessus. Sauf, bien sûr, à un moment donné, où j’ai agi. Il y a des moments dans la vie de chacun où il faut faire des choix qui impactent le restant de vos jours. Un choix implique de trancher, c’est parfois douloureux. Quand ce moment arrive, vous ne vous référez qu’à votre structure. Point final.
Quelle est la vôtre ?J’ai toujours été structurée autour d’Emmanuel - je dis Emmanuel car je vous parle là de mon mari, pas du président - et de mes enfants. Cela a toujours été ainsi. Dans les moments difficiles, je n’étais jamais seule, il y avait les enfants. Je ne veux pas trop parler d’eux car ce serait les exposer, mais j’ai cette colonne vertébrale démultipliée. Ma vie n’est pas ordinaire, je suis l’épouse du président de la République, mais les valeurs fondamentales qui me structurent sont simples et l’ont toujours été.
Viennent-elles de l’enfance, au sein d’une famille nombreuse ?Nous étions six enfants nés sur une période de vingt-deux ans, et je suis la dernière de la fratrie. C’est la raison pour laquelle, quand mes frères et sœurs aînés me faisaient la morale, je leur rappelais qu’ils n’étaient pas mon père ou ma mère ! Nos parents ont été extrêmement structurants, ils nous aimaient profondément. Ils pouvaient être très cool dans certains domaines - nous laisser sortir, faire ce qu’il nous plaisait… -, mais le respect de l’autre, c’était incontournable. Ils laissaient tout passer, tout sauf ça. J’ai une bonne nature, et je vis aussi très fort dans l’instant présent. Je suis intimement persuadée que la mort nous attend à chaque instant, donc rien d’autre n’existe que là, ici, maintenant. J’ai ça en tête depuis que j’ai 8 ans (Brigitte Macron perd alors une sœur dans un accident de la route, NDLR). J’ai l’impression qu’on n’a pas le temps, qu’il faut aller vite. Ce que vous ne faites pas maintenant, peut-être ne le ferez-vous jamais. C’est aussi le carpe diem du Cercle des poètes disparus.
L’appliquez-vous d’une manière ou d’une autre à l’Élysée ?Je me suis malgré tout découverte ici plus patiente que je ne le pensais. J’ai appris à ne pas parler ouvertement à n’importe qui, n’importe où et n’importe quand, ce qui est pour moi un effort colossal car je parle facilement ! Tout ce que je dis, et même ce que je ne dis pas, peut être repris et interprété. Je suis l’épouse du président de la République, qui est président de tous les Français. Les Français ne m’ont pas voulue, moi, j’en ai parfaitement conscience. À moi donc de trouver ma place et de les aider là où je peux le faire, dans le champ de la santé, de la culture, de l’éducation notamment.
Comment est né chez vous le goût de la littérature ?J’ai toujours beaucoup lu, mais je lisais un peu comme Madame Bovary : j’adorais les romans historiques, les romans de cape et d’épée, les romans qui me délocalisaient de la vie. Et puis, petit à petit, je suis entrée dans le roman classique. Ce genre reste phare à mon sens. J’ai une passion pour Flaubert, qui est écrasant. Il emprisonne le langage dans sa phrase. En poésie, mes préférés sont Baudelaire et Rimbaud, un génie bouleversant, absolu. J’aime aussi beaucoup l’absurde, Jarry, Ionesco, qui nous font passer de l’autre côté du miroir.
Professeure, est-ce une vocation ?C’est un métier difficile, physique, que l’on a chevillé au corps… Cependant, moi, je l’ai découvert assez tardivement. À la naissance de mon troisième enfant, je n’arrivais plus à gérer la fameuse charge mentale. J’avais une maîtrise de Lettres en poche, à Strasbourg on cherchait des professeurs, ça a démarré comme ça : dans une classe de collège, avec un cours sur les subordonnées conjonctives circonstancielles de conséquence.
À l’Institut des vocations pour l’emploi que vous présidez, vous enseignez aujourd’hui à des adultes qui ont eu un parcours difficile, et que l’Institut accompagne dans la construction d’un projet professionnel. Qu’y partagez-vous ?C’est une démarche très courageuse pour ces femmes et ces hommes qui suivent des cours de maths, d’expression écrite et orale, de numérique, d’anglais, qui apprennent pour certains à monter leur petite entreprise… Et moi, je donne des cours de littérature et de culture générale. Quand j’arrive, c’est la femme du président, et au bout de cinq minutes, je suis la prof. Ils se disent : «Ah… en fait, on va bosser !» Il y a un échange, et je les admire. Certains ont eu des parcours de vie pas simples, mais tous sont là, debout et vivants, extrêmement positifs.
Avant de quitter son poste en décembre dernier, Angela Merkel, après plusieurs décennies à contourner le mot, a confié, sur la scène du Théâtre de Düsseldorf aux côtés de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie : «Oui, je suis féministe.» En dites-vous autant ?Moi, je vous dis : je suis féministe avec les hommes. C’est-à-dire que je suis très heureuse que les femmes parlent enfin, que les femmes disent qui elles sont, que les femmes montrent tout ce qu’elles peuvent faire. Mais je sais que ce combat, nous le menons avec les hommes.
Que leur demandez-vous ?De nous entendre, de nous comprendre, de se battre avec nous. Parce qu’on a besoin d’eux dans ce combat. Je ne veux pas que les hommes puissent imaginer que nous soyons contre eux. Moi j’aime les hommes. Et pour moi, le féminisme, c’est un combat des femmes et des hommes.
Quel regard portez-vous sur ces jeunes filles et très jeunes femmes qui, à 15 ou 20 ans, militent avec une sorte de colère, voire de rage ?Toute violence m’inquiète. Je ne la juge pas, mais elle me fait peur. Sur les rapports hommes-femmes, sur l’écologie, le monde qu’on propose à cette jeune génération ne lui plaît pas forcément. Je peux comprendre qu’elle essaie de modeler le monde qui advient avec d’autres codes.
Enfin, le président laisse peu de doute quant à sa nouvelle candidature…Je n’ai pas de scoop. Quand je suis arrivée ici, je me suis dit : j’ai un plan sur cinq ans. On ne sait pas ce qui adviendra ensuite, donc il sera bien temps.
Dans votre vie quotidienne, quel enseignement retenez-vous de ces bientôt cinq années passées à l’Élysée ?Préserver son intimité est primordial, il faut être intransigeant à ce propos. Le président a aussi cela très à cœur. Un appartement, au sein du palais, est donc sanctuarisé. Personne n’y a accès, jamais. Nous nous y retrouvons, seuls, au petit-déjeuner et parfois au dîner, lorsque nous n’avons aucun événement officiel à l’agenda. J’ai également appris à vivre avec une sécurité. Au début, lorsqu’on me disait «non», parce que je voulais sortir faire une course ou promener Nemo, je répondais : «Eh bien, si.» Nous avons négocié, trouvé le modus vivendi. Je comprends leur charge, leur responsabilité aussi.
«Nous sommes responsables de ce qui nous unira demain», disait Simone Veil. Qu’est-ce qui nous unira demain, d’après vous ?Je pense que c’est le dialogue. Envers et contre tout, il ne faut pas orchestrer de rupture de dialogue. Je crois profondément dans le verbe et dans l’écoute.
(1) Pour faire un don avant le 5 février : tirelires à rapporter en bureau de poste, par Internet sur piecesjaunes.fr, par SMS via un don de 5 euros en envoyant DON au 92111.(2) Une société fatiguée ?, enquête éditée par la Fondation Jean-Jaurès (club politique et think tank).
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