By akademiotoelektronik, 28/04/2022
Comment Migros s'attaque à la numérisation | ICTjournal
La numérisation pose de nouveaux défis au commerce de détail. Quels sont les principaux à vos yeux?
Nous avons trois défis majeurs. Tout d'abord, nous devons numériser nos modèles d’affaires - je pense à la tendance de la vente en ligne ou aux places de marché. Deuxièmement, la numérisation affecte également les interfaces clients. Nous pouvons déjà scanner nos achats avec nos téléphones portables, mais l'expérience d'achat va encore évoluer. Le troisième grand défi concerne les systèmes informatiques. Comme la plupart des détaillants, Migros utilise encore de nombreux systèmes anciens, en d'autres termes, des systèmes hérités. Ils constituent un défi, car ils nous ralentissent et coûtent beaucoup d'argent.
Vous avez mentionné le self-scanning. On peut dire que Migros pousse à l'extrême la tendance au libre-service. Que pensez-vous de cette évolution?
Sur le plan technologique, je trouve le fonctionnement de ces services passionnant. En outre, cette tendance crée une valeur ajoutée pour les clients. Lorsque je scanne les produits, par exemple, je peux vérifier par moi-même combien cela me coûtera réellement si je veux acheter plusieurs articles pendant une campagne de promotion donnée. En plus de créer une certaine gamification, cela me donne aussi, en tant que client, un sentiment de contrôle et d’équité.
Que prévoyez-vous désormais en matière de Self-Checkout?
Nous sommes en phase de déploiement. Nous sommes principalement guidés par l'intérêt de nos clientset nous constatons toujours une forte demande pour la caisse classique. Cependant, je m'attends à du changement dans le domaine du self-scanning: l'abandon des scanners au profit des applications mobiles. C'est pourquoi nous avons intégré la fonction SubitoGo à l'application Migros il y a six mois. Nous testons actuellement cette fonction dans quelques magasins et prévoyons de la déployer dans l'ensemble du pays d'ici la fin de l'année. Le principe est simple: les clients créent une liste de courses avec l'application, scannent les articles dans le magasin, paient directement dans l'application et présentent un code QR à la caisse. De quoi rendre les emplettes très faciles et pratiques.
Qu’adviendra-t-il de votre personnel si le métier de caissier disparaît?
Nos projets ne vont pas aussi loin, car nous ne voyons pas cette profession importante disparaître. Surtout dans les petits magasins, les clients ont de nombreuses questions: Où puis-je trouver tel ou tel produit ? Que contient-il? Il existe donc un réel besoin de conseils, d'orientation et d'information personnalisés. Nous sommes encore loin d'un monde numérique parfait qui fournit aux clients tout ce qu'ils désirent. En outre, de nombreuses personnes ont un fort besoin de contact interpersonnel lorsqu'elles font leurs courses. Bavarder à la caisse n'est pas seulement quelque chose qui se passe à la campagne. Les supermarchés sont également d'importants lieux de rencontre sociale en milieu urbain. A cet égard, nous pouvons dire qu’en tant que zone de rencontre, les commerces de détails rendent un service à la société.
Supposons que le Self-Checkout remplace un jour les caisses traditionnelles. Avez-vous un plan pour préparer les employés à cette éventualité?
Nous avons des programmes de formation très intensifs, mais comme je l'ai dit, je ne m'attends pas à ce que les caisses classiques soient remplacées dans un avenir proche. La fonction de caissier est également un travail exigeant. Et il y a d'autres emplois qui risquent de disparaître plus vite à cause de l'automatisation. Je pense à des tâches telles que le pliage de cartons ou le transport de conteneurs vides avec des palettes. Servir les gens à la caisse est beaucoup plus exigeant. Nos employés doivent avoir un bon relationnel, être orientés vers le service et connaître les produits en détail. En la matière, nos caissiers se débrouillent très bien, je ne suis donc pas inquiet pour leur avenir.
Avec le «Voi Cube», Migros teste un concept de supérette sans personnel. Pourquoi ce test?
Pour nous, le Voi Cube est avant tout une manière d'expérimenter ces technologies. Nous voulons savoir comment elles fonctionnent en situation réelle. L'étape suivante consiste à acquérir une expérience plus large de ce marché et à découvrir comment les clients réagissent au concept. Un magasin ne suffit pas, il en faudrait au moins dix. Mais nous devons d'abord apprendre comment ce concept peut fonctionner en Suisse.
Quelles sont les difficultés posées par ce concept en Suisse?
La principale difficulté réside dans l'interface entre les gens et cette technologie. Nous devons nous assurer que les clients se comportent de manière à ce que chacun ait une bonne expérience d'achat. En outre, si tout le monde ne se comporte pas de manière responsable, nous devons augmenter les prix, sinon on ne s’y retrouve plus d’un point de vue commercial. Par exemple, si une équipe de nettoyage doit intervenir en magasin toutes les demi-heures, ce serait un problème. Les questions importantes sont donc les suivantes: quel est le niveau d'entretien pour ces magasins? Et comment les concevoir de manière à ce que les clients se sentent à l'aise d'une part et qu'ils soient attentifs aux autres d'autre part? En d'autres termes, il s'agit d'économie comportementale. Tout développementtechnologique devraitde nos jours considérer l'économie comportementale.
Début juin, Migros a interrompu pour la deuxième fois le service de shopping social Amigos. Quel est votre bilan?
Nous sommes très satisfaits d'Amigos. Au départ, nous voulions développer une solution innovante qui profiterait à nos clients. Il était clair pour nous que la gig economy allait également concerner la Suisse. Cependant, nous avons ensuite constaté que le projet rencontrait certains problèmes. Nous en avons tiré beaucoup de leçons.
C'est-à-dire?
Nous avons biffé la moitié de notre liste de solutions théoriquement réalisables parce que nous avons compris que tout ce qui est imaginable n'est pas réalisable - du moins pas dans une mesure raisonnable. La leçon la plus importante est d’avoir compris que ce service n'est pas un bon modèle pour la Suisse. Nous ne sommes pas un pays de gig economy, comme les Etats-Unis, où il existe une culture du multi-emploi. On ne peut pas simplement transférer en Suisse des modèles d'innovation numérique venant du monde entier.
Avec la crise du coronavirus, le projet Amigos a connu un second souffle. Comment l’expliquez-vous?
Lorsque la pandémie a frappé, il y a soudainement eu ce désir d'entraide. Pro Senectute nous a contactés avec l'idée de soutenir les personnes présentant un risque accru de tomber malade. Nous avons pu réactiver Amigos en un court laps de temps et nous nous sommes réjouis de voir le nombre d'utilisateurs augmenter rapidement. Cependant, alors que nous nous approchons maintenant de la fin de la crise, nous avons remarqué que les commandes ainsi que le nombre de livreurs actifs ont diminué. Le matching est devenu plus difficile. Les rares personnes qui commandaient encore ou s'inscrivaient comme livreurs étaient mises en relation de moins en moins vite. Il était donc logique d'interrompre à nouveau le service après plus d'un an. Mais le bilan reste positif. Nous avons pu répondre très rapidement à un besoin important, tant pour les personnes désireuses d'aider que pour celles qui ont besoin d'aide. Ce sont des besoins très humains: vouloir aider et se faire aider. A cet égard, nous avons pu apporter une contribution importante avec Amigos, ce qui personnellement me réjouit beaucoup.
En octobre, Migros a conclu un partenariat dans le cloud avec Microsoft. Où en êtes-vous dans votre migration vers le cloud?
Nous sommes fiers d’exploiter quatre centres de données qui nous appartiennent. Mais comme la plupart des entreprises, nous avons compris que ce modèle n'était pas la bonne solution à long terme. Bien entendu, nous conserverons certaines infrastructures informatiques locales lorsque la proximité est importante pour des questions de gestion des risques - par exemple, pour les grandes opérations de production et de logistique. Mais pour tout le reste, nous prévoyons une migration progressive et fonctionnelle vers le cloud, sur une période de cinq ans. Nous avons décidé de procéder à un refactoring. A savoir que nous adaptons le code de nos applications aux futurs environnements cloud. Nous avons d'ailleurs deux plateformes stratégiques: Microsoft Azure et Google Cloud Platform.
Quel est actuellement le plus grand chantier de ce projet de passage au cloud?
Nos systèmes ERP représentent le plus grand défi. Nous avons toujours travaillé avec SAP, et il y a environ un an, nous avons lancé le plus grand programme de transformation de l'histoire de Migros. Nous renouvelons l'ensemble du socle numérique de l'entreprise. Et nous le faisons par le biais d'une transformation propre, orientée business, qui nous rapproche le plus possible d'une solution standard. C’est une mission compliquée car nous avons une Long-Tail très importante. J'entends par là des milliers de petites applications et des dizaines de systèmes SAP. Prendre en compte tout cela de façon systématique représente un travail considérable en soi. La consolidation et le refactoring pour le cloud sont des projets encore plus complexes, même pour une grande équipe comme la nôtre. Nous avons près de 3000 collaborateurs dans la division des technologies de base. Nous considérons la refonte de notre socle du noyau comme une refonte technologique d’envergure. En l'état actuel des choses, elle nous occupera au moins jusqu'en 2028. L'objectif est clair: notre entreprise doit être en mesure de répondre plus efficacement aux attentes des clients.
Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de SAP?
Laissez-moi reformuler ainsi: à partir d'une certaine taille d'entreprise, il n'y a pratiquement aucun moyen de contourner SAP dans le monde germanophone. Il existe de nombreux fournisseurs intéressants, mais du point de vue d'une grande entreprise hautement intégrée, les alternatives sont très limitées. Et une fois que vous avez fait le saut dans le monde SAP, il est très difficile de revenir en arrière. La question clé pour nous est la suivante: comment pouvons-nous utiliser SAP le plus efficacement possible? Par le passé, nous nous serions appuyés sur un énorme monolithe. Aujourd'hui, il s'agit plutôt de construire un socle hautement efficace et d'assembler les systèmes environnants selon le principe du best-of-breed.
Il semblerait que SAP soit un mal nécessaire.
Je ne dirais pas ça. SAP offre sans aucun doute une valeur ajoutée. Prenez les nombreuses possibilités d'intégration: de l'approvisionnement en marchandises au traitement douanier, de la gestion des stocks dans l'entrepôt au module de finance en aval - vous pouvez tout prendre en compte avec SAP. Nous pouvons également gérer les processus très compliqués liés à la gestion des différents taux de TVA. La procédure serait extrêmement fastidieuse à mettre en place dans un système fait maison. Une entreprise moderne pourrait bien sûr procéder différemment, par exemple en créant un data lake, en y ajoutant de nombreux programmes Java qui peuvent également traiter l'ensemble des processus, et en concevant le tout avec des interfaces utilisateur cool afin d'offrir une excellente expérience utilisateur. Mais on peut se demander si l'intégration dans un environnement complexe se fera ensuite sans heurts. Il est par ailleurs également possible de créer un front-end attrayant avec SAP.
Malgré tout, SAP se heurte sans cesse aux critiques de ses clients. Pourquoi?
Je pense que le problème est général. D'une part, les petites entreprises ont souvent le sentiment de ne pas bénéficier d'un soutien suffisant lorsqu'elles travaillent avec de grands fournisseurs. La situation de SAP est probablement similaire à celle d'autres grandes sociétés informatiques. D'autre part, il y a cette perception de dépendance, cette impression de ne pas avoir son mot à dire. Mais ce type de problème ne concerne pas uniquement le domaine de la tech.
Quelle est la tendance technologique qui vous fascine le plus?
Mon concept préféré est celui de jumeau numérique. A l'avenir, je veux que les clients puissent savoir, dans le magasin, d'où vient une banane, qui l'a plantée et récoltée, comment elle est arrivée en Suisse et quelle est l'empreinte écologique de la logistique et du transport. J'aimerais mettre ce type d'information à la disposition des clients. Nous travaillons sur un tel projet. L'objectif serait de pouvoir communiquer des informations sur les produits ainsi que sur le thème de la durabilité de manière à la fois concrète et crédible.
La question de la numérisation est aujourd'hui partout et suscite de nombreuses discussions. Dans ce contexte, qu’est-ce qui vous réjouit ou vous irrite?
Il y a 10 ans, la technologie était encore considérée comme un phénomène secondaire dans de nombreux milieux. Aujourd'hui, tout le monde en parle. D'une part, je suis très heureux que l'intérêt du public pour la technologie ait autant augmenté. D'un autre côté, je ne cesse de m'étonner que certaines discussions ne visent manifestement pas à mieux comprendre le sujet abordé. Au lieu de cela, les termes techniques sont utilisés comme des buzzwords pour raconter des success stories. Il arrive que cela me dérange. Je me qualifie parfois de nerd, en d'autres termes, je suis un spécialiste en technologie réellementconvaincu. Avec mes employés, j’aime me plonger dans les projets pour comprendre les choses. Je souhaiterais ainsi voir plus de profondeur dans les discussions publiques autour de la technologie et de la numérisation.
A propos de Rainer Baumann
Rainer Baumann est chef du département des Opérations et membre de la direction générale de la Fédération des coopératives Migros. Il est responsable des domaines fonctionnels de l'informatique, de la logistique, du transport, de l'ingénierie, des affaires numériques et de l'analytique. Il a rejoint l'entreprise en 2019. Auparavant, Rainer Baumann a occupé diverses fonctions chez Swiss Re, dont la dernière était celle de responsable du service numérique et d'information du groupe. Rainer Baumann est titulaire d'un doctorat en sciences de l'ETH Zurich.
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