By akademiotoelektronik, 17/08/2022
A Davos, Macron propose un "nouveau contrat mondial"
Un discours d'une bonne heure, en séance plénière devant une salle comble et largement acquise, alternant le français, l'anglais, le français, l'anglais, pour s'adresser à tous les publics de cette tribune exceptionnelle qu'est pour un chef d'Etat le forum économique de Davos. Habitué des lieux, mais pour la première fois dans la position de « patron » de la maison France, Emmanuel Macron a été accueilli comme une rock star, et aussi un peu comme l'un des rares à avoir le leadership susceptible de faire le poids face au président américain, qui interviendra vendredi après-midi.
Le sauveur du monde libre
Le président français a entamé son discours par une remarque sur la neige tombée en abondance à Davos cette année, comme un clin d'œil à la réalité du changement climatique : « vous n'avez pas invité de climato-sceptique à cette tribune ? », a-t-il lancé ironique à Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum qui l'a accueilli en présentant presque comme le sauveur du monde libre, du monde de Davos en tout cas, qui défend la mondialisation et le libre-échange. « Vous êtes le symbole de la politique dont nous avons besoin pour nous guider dans le nouveau monde » : c'est une déclaration d'amour que lui a fait Klaus Schwab, devant un parterre de dirigeants avec au premier rang le roi d'Espagne, mais aussi une importante délégation française, de Christine Lagarde, directrice générale du FMI à Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie, en passant par Patrick Pouyanné (Total), Maurice Lévy (Publicis), Bernard Charlès (Dassault Systèmes) ou son ex-mentor Jacques Attali.
"France is back"
Invité à proposer sa vision et des solutions pour « un monde fracturé », thème général de cette 48ème édition du forum, Emmanuel Macron a été clair sur ses intentions : « Je suis venu lancer un appel à l'action », a affirmé le président français dans un discours articulé en trois parties, la France, l'Europe, le monde. Emmanuel Macron a commencé par défendre son action interne. Deux jours après avoir reçu 140 PDG de multinationales à Versailles pour le sommet « choose France » au cours duquel 3,5 milliards d'euros d'investissements étrangers ont été annoncé, il a voulu clore cette séquence attractivité en faisant la pédagogie des réformes qu'il a engagées depuis son arrivée. Un service après-vente destinée à défendre une France conquérante (« France is back »), même si il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Les cinq piliers de la politique qu'il mène sont dans l'ordre : le capital humain et l'innovation ; l'investissement et le capital ; la flexibilité du marché du travail et les réformes des secteurs clefs que sont l'énergie, le logement et les transports ; faire de la France un pays modèle de la lutte contre le changement climatique;et enfin, son préféré, la transformation "culturelle" du pays. Lutte contre la bureaucratie, simplifications, stabilité fiscale pour cinq ans et surtout droit à l'erreur : « l'image du pays, c'est qu'il est à la fois interdit d'échouer et interdit de réussir », et c'est cela qu'il veut changer car "la France est une nation d'entrepreneurs", a-t-il assuré.
Une Europe puissance
Au-delà de cette opération séduction, où il s'est exprimé en anglais, Emmanuel Macron a ensuite articulé son propos sur la nécessité de réformer l'Europe. Au-delà du calendrier de 2018 sur les quatre dossiers en cours (Europe de l'énergie, de la défense, du numérique et l'immigration), Emmanuel Macron veut que soit définie une « stratégie à dix ans ». Et il a été très direct : il serait « naïf de penser qu'on peut faire cela à 27 ». Ainsi « ceux qui ne veulent pas avancer ne doivent pas bloquer ceux qui sont ambitieux » pour définir une telle stratégie. La proximité de l'accord de grande coalition conclu entre Angela Merkel et le SPD fait pousser des ailes au président français qui espère désormais pouvoir avancer de concert avec l'Allemagne, même s'il ne faut pas s'illusionner sur la capacité de notre voisin d'aller très loin : Angela Merkel, qui s'était exprimée peu avant sur le renforcement de la zone euro, a répété qu'il n'y aurait pas de mutualisation des risques ou des dettes et que si on pouvait avancer sur l'Union bancaire ou celle des marchés de capitaux, sa vision à elle est bien plus prudente que celle de « l'Europe puissance », plus romantique portée par le président français.
Haro sur les "passagers clandestins" de la mondialisation
Enfin, dans une troisième partie, la plus longue, prononcée curieusement en Français, comme si le chef de l'Etat voulait à ce moment-là s'adresser plutôt aux Français justement, Emmanuel Macron a fait un long plaidoyer contre la montée du nationalisme et pour le maintien d'un monde ouvert, mais avec des propos plus critiques aussi à l'égard de ce que Davos représente. Il a réclamé un « nouveau contrat mondial » pour corriger une mondialisation « qui tire vers le bas » et où certains pays "mènent des stratégies non coopératives". Sinon, a-t-il prévenu, si on ne convainc pas les populations que la mondialisation ne se fait pas contre eux, « dans 5, 10 ou 15 ans, ce sont les nationalistes qui l'emporteront ».
La politique des "biens communs"
En creux, sans le citer, il a dénoncé la politique de baisse des impôts de Donald Trump sur les entreprises mais aussi la tendance au moins-disant social permanent qui maintient les pays dans une logique de concurrence sans limites, ce qui se fait au détriment de ce qu'il a appelé les « biens communs » que sont "la démocratie, la cohésion sociale, la santé, l'environnement et le développement durable". Or, « les ennemis du bien commun, ce sont toujours ceux qui ont une stratégie de passager clandestin », que ce soient des Etats, menant des politiques non coopératives agressives (les Etats-Unis viennent de prendre de nouvelles mesures protectionnistes sur les panneaux solaires chinois), ou le secteur privé qu'Emmanuel Macron n'a pas hésité, dans cette instances, à rappeler à leurs propres responsabilités.
Il a défini "trois devoirs" pour les années qui viennent : devoir d'investir, devoir de partager et devoir de protéger.
Investir dans la formation et l'éducation, notamment dans les pays pauvres, « l'éducation des jeunes filles sans quoi nous n'aurons pas d'égalité homme-femme ». « La solution est chez les femmes » a lancé le président qui a fait du comblement de l'écart salarial de genre en France une priorité de son mandat. Il a longuement insisté sur l'urgence de former pour préparer les travailleurs et les générations à venir à des changements majeurs avec les nouvelles technologies, dont l'intelligence artificielle (un des sujets de crainte les plus évoqués cette année à Davos). Si on ne fait rien, et si on ne pense pas ce nouveau monde technologique dans un cadre de régulation multilatéral, « Schumpeter va très rapidement ressembler à Darwin » a-t-il lancé. « Et vivre dans un monde totalement darwinien n'est pas bon ». Il plaide donc pour que des règles communes soient élaborées des principes lors du prochain G20 en Argentine.
De nouvelles régulations nécessaires
Partager la création de valeur ensuite, car dans le capitalisme contemporain, financier et technologique, ce partage n'est plus juste et creuse les inégalités entre les "super stars" de la finance et de la technologie (massivement présents à Davos, pas forcément dans la salle où s'exprimait Emmanuel Macron !) et les 99%. « Les entreprises qui durent ont une stratégie de partage de la valeur », a_t-il lancé les appelant à généraliser la RSE (Responsabilité sociale et environnementale). Il a fustigé les stratégies d'optimisation fiscale des multinationales et appelé les Etats-Unis et la Chine à rejoindre le traité BEPS proposé par l'OCDE. Et critiqué l'attitude des multinationales du numérique comme les GAFA, qui font s'échapper la matière taxable hors de frontières nationales. « Je les accueille volontiers en France » (Facebook et Google ont annoncé des investissements dans l'IA notamment lundi à Versailles), mais la présence de telles distorsions fiscales fausse le jeu de la concurrence et empêche les startups françaises de grandir, a-t-il dénoncé. « Nous devons mettre fin ensemble à ce système injuste. Si vous croyez à ce que vous dites ou entendez à Davos, il faut changer cela ». Car « les grands acteurs du numérique vont provoquer des disruptions qui vont détruire des millions d'emplois. Nous gouvernements, allons donc devoir reformer massivement les gens. Si les entreprises ne contribuent pas par leurs impôts à financer cet investissement, que dire aux classes moyennes de nos pays ». Sur la régulation financière, Emmanuel Macron a aussi demandé que le FMI et les institutions de surveillance prudentielles élargissent leur surveillance à ces pans entiers qui échappent à tout contrôle, comme le bitcoin dont la volatilité inquiète les régulateurs, ou comme la finance de l'ombre, qui prospère en dehors des réglementations.
Etre transparents sur nos incohérences
Enfin, le troisième volet est la protection, contre le changement climatique et les nouvelles menaces géopolitiques, notamment le terrorisme. Sur le climat, Emmanuel Macron a appelé l'Europe a enfin décider un prix plancher pour le CO2, afin de concrétiser les engagements pris lors de l'accord de Paris et au développement de la finance verte. « Le cœur du nouveau contrat social est qu'il doit impliquer tous les acteurs, lutter contre les stratégies de passagers clandestins et être cohérent, au regard de l'objectif de défense des biens communs. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais au moins, nous devons être transparents sur nos incohérences ». Voilà donc le programme et la vision du président français pour soigner les fractures de la mondialisation. A l'évidence, elles sont au strict opposé du discours « America First » que viendra justifier vendredi Donald Trump. En amont de ce dernier temps forts de Davos 2018, quelques responsables américains ont pris les devants, déployant, comme le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin , une argumentation pour le moins caricaturale de ce que Macron a appelé la stratégie du passager clandestin, non coopérative : « ce qui est bon pour l'Amérique est (forcément) bon pour le monde, sachant que l'Amérique est l'un des principaux acteurs du commerce mondial ». Et le pire, c'est que, à court terme, c'est sans doute la conviction de la majorité des multinationales présentes à Davos. Le même Mnuchin a déclaré le même jour à Davos "qu'un dollar plus faible était bon pour les Etats-Unis", rompant avec la tradition des grands argentiers américains qui ont toujours parlé de "dollar fort", confirmant que la stratégie "non coopérative" de l'administration Trump est bien de "dévaluer" le billet vert, qui a continué hier de chuter face à la plupart des monnaies. Vous avez-dit "non coopératif" ? Visiblement, le discours d'équilibriste du président français a peu de chance d'être entendu par Donald Trump. Cela ne l'a pas empêché d'inviter son "ami" Macron pour une visite d'Etat aux Etats-Unis, qui sera la première d'un dirigeant étranger depuis l'élection américaine.
Philippe Mabille9 mn
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